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Okinawa. 1945
Article mis en ligne le 28 décembre 2023
dernière modification le 5 janvier 2024

par Nghia NGUYEN

On lui connaissait déjà une histoire remarquée de La Guerre de Corée, une de La Guerre d’Indochine ainsi que le récit de deux batailles emblématiques : celles de Cao Bang et de Diên Biên Phu. Également auteur d’une biographie sur le Maréchal Jean de LATTRE de TASSIGNY, Ivan CADEAU s’est depuis imposé comme l’un des grands spécialistes français de l’histoire militaire de l’Asie contemporaine. Officier de l’Armée de Terre, docteur en Histoire et chercheur au Service Historique de la Défense (SHD), il vient de publier un nouvel ouvrage relatif au dernier grand affrontement de la Guerre du Pacifique : la bataille d’Okinawa (1).

Île principale d’un archipel plus vaste situé à l’extrémité méridionale du Japon - celui des Ryukyu –, Okinawa est un morceau de terre de 1280 km2 situé à environ 1550 km de Tokyo et sur lequel se trouvent 5 grands aérodromes. Dans leur progression d’îles en îles vers le coeur de l’Empire nippon, les Américains sont désormais aux portes du Japon. Alors qu’ils viennent de livrer une sanglante bataille à Iwo-Jima (février-mars 1945), ils hésitent encore entre un assaut de vive force sur Taïwan ou Okinawa. Le choix de ce débarquement, qui serait le dernier avant l’invasion des îles principales du Japon, se porte finalement sur Okinawa. Une bataille pour Taïwan est estimée beaucoup plus coûteuse humainement et matériellement selon l’état-major américain. Qui plus est, elle obligerait à une prise de contrôle plus large des côtes chinoises.

C’est donc à une force aéronavale et amphibie colossale que sont confiés le débarquement et la prise d’Okinawa sous le nom de code « opération Iceberg ». À ce stade du conflit, la Marine américaine est au sommet de son art. De la posture défensive de l’année 1942, elle est depuis passée à l’offensive dans le plus grand théâtre d’opération maritime de la planète. Soutenue par un effort industriel et logistique exceptionnel, elle est organisée en Task Units (TU), elles-mêmes regroupées en Task Groups (TG), ces dernières étant articulées dans des Task Forces (TF) encore plus amples. Ce sont de véritables armées navales que l’US Navy, commandée par l’Amiral Chester W. NIMITZ (1885-1966), lance contre le Japon dans le Pacifique Centre, en concurrence avec l’offensive de l’US Army lancée dans le Pacifique Sud-Ouest et commandée par le Général Douglas MacARTHUR (1880-1964).

 

  • Plage de débarquement de la TF 56 sur l’île d’Okinawa le 13 avril 1945. La bataille vient de commencer depuis deux semaines. Le point de vue illustre à lui seul la supériorité industrielle, navale et logistique de l’armée américaine. Jamais les marines de l’Axe ne parviendront à un tel degré de savoir-faire et de concentration stratégiques. Couverte de bâtiments jusqu’à l’horizon, la prise de vue indique cependant la vulnérabilité des TF américaines. Plus la bataille au sol durera, plus la flotte sera immobilisée au large de l’île et sera exposée aux attaques des kamikazes (source - US National archives).

 

Dès 1943, la situation du Japon se dégrade sensiblement sur tous les fronts. En 1944, il est surclassé en tout, industriellement et quantitativement comme dans la qualité des matériels, la formation des combattants et – fait plus grave – les capacités tactiques et stratégiques. Isolés dans des îles sans intérêt tactique ni stratégique, contournés par les forces américaines qui les coupent de tout ravitaillement, des dizaines de milliers de soldats japonais sont abandonnés et meurent de faim sans aucun espoir d’être secourus. À la veille de la bataille d’Okinawa, l’aéronavale japonaise n’est plus que l’ombre d’elle-même alors que la TF 50 (2) approche avec plusieurs dizaines de porte-avions auxquels viennent s’ajouter une TF britannique de 10 porte-avions. Toute tentative de bombardement ou de torpillage des porte-avions américains se heurte à un mur de feu et se solde par la perte irrémédiable de nombreux avions et pilotes. M. CADEAU montre que cette supériorité écrasante restitue une certaine forme de rationalité à l’option kamikaze ; cette dernière permettant de réaliser les mêmes frappes avec une économie de moyens (en carburant notamment) dans un contexte où les chances de survie des pilotes japonais sont de toute manière proches de zéro.

De fait, la bataille d’Okinawa sera le théâtre de l’un des plus grands assauts de kamikazes à la fois par les airs mais aussi par la mer. L’opération Ten-Go désigne la partie aérienne et navale de l’affrontement où l’objectif, pour les derniers pilotes et équipages japonais, est de tenter de détruire une partie de l’armada américaine au large des Ryukyu. Les opérations Kikusui désignent ainsi les attaques kamikazes par la voie des airs. Aussi désespérées que meurtrières, elles sont aussi éprouvantes pour les nerfs des équipages de marins américains. L’US Navy y gagne cependant une expérience inégalée qui explique, encore de nos jours, une culture du feu devant permettre de tenir éloignées toutes menaces de ses porte-avions.

Les kamikazes connaissent aussi une version navale avec des bateaux-suicides (Maru-re). Ce sont de petites embarcations rapides, embusquées dans des grottes littorales et attaquant de nuit. Organisées par l’armée de terre, les unités de Maru-re sont mises en œuvre par des adolescents inexpérimentés. La rapide neutralisation des îles Kerama, où 350 de ces bateaux-suicides étaient concentrés, les empêchent finalement d’intervenir dans la bataille. Il en est différemment du dernier cuirassé de la Marine impériale, le Yamato, qui parvient à appareiller mais est inutilement sacrifié le 7 avril.

La bataille d’Okinawa commence véritablement le 1er avril 1945. Elle démontre une fois de plus le savoir-faire inégalé atteint par l’armée américaine dans ce type d’opération aéro-amphibie et interarmées. Le corps expéditionnaire est la 10e Armée US constituée de divisions du corps des Marines mais aussi de l’Army. En face se trouve la 32e Armée japonaise qui a eu le temps de mettre l’île en défense et de conditionner la population civile. L’état-major japonais est sans illusion quant à l’issue de la bataille. Parmi ces commandants, le colonel YAHARA est partisan d’une doctrine purement défensive. S’appuyant sur un réseau de grottes, de tunnels et de tranchées, il préconise une bataille d’attrition seule capable de rééquilibrer un rapport de force trop déséquilibré, quitte à abandonner aux Américains les aérodromes. YAHARA – à qui les faits donneront raison - se heurte à l’opposition de son commandement qui préfère une tactique offensive. Quoi qu’il en soit l’objectif est de rendre la prise d’Okinawa la plus coûteuse possible pour les Américains. Si la partie nord de l’île est rapidement conquise, les combats se concentrent et vont durer au sud.

Les combats d’Okinawa sont entrés dans l’histoire de la Guerre du Pacifique comme parmi les plus meurtriers de ce conflit. Lorsque la bataille s’achève le 22 juin 1945, 7800 combattants américains sont tombés dont le Général Simon B. BUCKNER, commandant la 10e Armée US, tué le 18 juin dans un bombardement. L’US Navy a aussi payé un lourd tribut aux attaques Kikusui. 4900 marins et pilotes sont tués au large d’Okinawa et le commandant de la TF 50, l’Amiral Raymond A. SPRUANCE, épuisé nerveusement, est relevé en pleine bataille le 28 mai. Les pertes japonaises sont, cependant, d’un autre ordre de grandeur. Elles s’expliquent à la fois par l’orgueil national, des conceptions culturelles (3), des tactiques inadaptées et une volonté d’impliquer les populations civiles dans le désastre. M. CADEAU évalue à environ 247 000 le nombre de morts japonais durant la bataille, dont 140 000 civils. Ce chiffre est susceptible de réévaluation du fait de nombreux disparus qui ont été rapidement enterrés où emmurés dans les grottes.

Clair et bien écrit, le livre d’Ivan CADEAU se lit rapidement. Rigoureusement expliqué, l’événement auquel il s’attache est accompagné d’un appareil cartographique en couleur fort utile. Le mérite de l’auteur est d’avoir consacré une étude sur un sujet mal connu en France au-delà des généralités. Dans une première partie, il restitue la campagne du Pacifique depuis Pearl Harbor, expliquant très utilement les phases et les logiques de la contre-offensive américaine. La deuxième partie du livre est consacrée à la bataille d’Okinawa dans son détail. Quant à la troisième partie, elle s’intéresse au bilan et aux enjeux mémoriels aussi bien américains que japonais et ryukyuans.

C’est, en effet, un éclairage particulièrement intéressant et mal connu de notre point de vue que M. CADEAU nous donne sur la mémoire des habitants d’Okinawa. Culturellement relégués et considérés comme des citoyens de second ordre (4), les Ryukyuans ont été durement exploités par la 32e Armée pour la mise en défense de l’île. Surtout, ils ont été conditionnés à ne pas survivre à l’occupation américaine, ce qui a entraîné des suicides de masse que les générations actuelles reprochent au gouvernement japonais. La rancœur est d’autant plus grande que l’île d’Okinawa est depuis cette bataille le siège de plusieurs garnisons américaines dont la présence exprime, de nos jours, un partenariat stratégique accepté et voulu par Tokyo.

Avec un autre livre remarquable - celui de Nicolas BERNARD (5) – l’ouvrage d’Ivan CADEAU contribue, enfin et très utilement, à mettre à la portée du lecteur français une histoire essentiellement écrite par les Américains.

_______________

  1. Cf. CADEAU (Ivan), Okinawa. 1945, Paris, Perrin, 2023, 284 p.
  2. Cf. La Task Force 50 est la force d’invasion de l’île d’Okinawa. C’est une TF géante qui rassemble 8 autres TF, et compte entre 1300 et 1500 bâtiments de guerre. Sa composante aéronavale lourde est la TF 58 mais c’est la TF 56 qui en est la composante la plus importante : celle qui embarque le corps de débarquement (10e armée US).
  3. Cf. Lire à ces sujets COOK (Haruko Taya) et COOK (Theodor F.), Le Japon en guerre 1931-1945, Éditions de Fallois, 2015, 553 p.
  4. Cf. Les RyuKyu ont été annexées par le Japon qu’au XIXe siècle.
  5. Cf. BERNARD (Nicolas), La Guerre du Pacifique 1941-1945, Paris, Tallandier, 2016, 810 p.

 

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