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Le Tigre I Ausf E 114 du Musée des blindés de Saumur

De la guerre au musée, l’histoire du Tigre I Aussi E 114 de la SS Pz. Abt. 102.

Article mis en ligne le 31 juillet 2023
dernière modification le 13 août 2023

par Nghia NGUYEN

Un Tigre I Ausf H reconnaissable au tourelleau surélevé du chef de char et ses lance-grenades fumigènes S-Minen sur l’avant de la tourelle

 

Le Tigre I : un char de combat emblématique

Avec sa silhouette massive et carrée, rendue encore plus agressive par le redoutable canon 8,8 cm KwK 36 L/56 (1), le char Tigre I (Panzerkampfwagen VI Tiger) est devenu l’exemple emblématique des chars lourds de la Deuxième Guerre mondiale et, par extension, le symbole des grandes batailles blindées de ce conflit. Avec un blindage frontal de 10 cm du bas de caisse au mantelet, une optique de tir Zeiss TZF 9b permettant une visée jusqu’à 4000 m et un canon anti-char capable de détruire tous les blindés alliés de son époque, cette réputation n’est nullement usurpée. De la Tunisie aux steppes russes en passant par le bocage normand, le Tigre I fut la terreur des tankistes américains, soviétiques, britanniques, canadiens, français…

Dès la campagne de France (mai-juillet 1940), les Allemands perçoivent l’insuffisance de leurs blindés face à des engins ennemis plus protégés et mieux armés (2). Il faut cependant attendre mai 1941 pour voir les ingénieurs du Reich travailler sur un programme officiel de char lourd. D’emblée, ce programme va connaître une accélaration avec l’invasion de l’URSS et la confrontation directe de la Panzerwaffe avec le char soviétique T-34. Remarquable compromis entre la mobilité, la protection et la puissance de feu, ce dernier déclasse techniquement tous les blindés allemands à l’exception des dernières versions du Panzer IV et des Sturmgeschütz III.

Amorcé dès le début du conflit mondial, le programme qui devait aboutir au Tigre I avance donc très rapidement durant l’année 1941. Il voit la concurrence de deux prototypes construits par les firmes Henschel et Porsche. C’est celui de la firme Henschel qui l’emporte en avril 1942 et la production industrielle du nouveau char lourd de la Wehrmacht commence immédiatement durant ce même mois d’avril. 1354 Tigre I seront produits jusqu’au mois d’août 1944, date à laquelle les derniers exemplaires sortiront des chaînes d’usine. De 1942 à 1944, l’engin sera constamment amélioré passant d’une version (3) H de début de production à une version E (de milieu et de fin de production). Les modifications les plus importantes, celles qui permettent de distinguer les différentes versions portent sur le train de roulement, le tourelleau du chef de char et l’optique de tir.

Capable de viser et de détruire à des distances qui le mettaient hors de portée de la plupart des chars alliés, le Tigre I était aussi très bien protégé frontalement. À Prokhorovka les unités de Tigre (et de Panther) firent un carnage dans les vagues de T-34, et dans le bocage normand la silhouette d’un Panzer IV avec ses jupes de tourelle pouvait prêter à confusion et faire croire à la présence d’un Tigre I que les combattants alliés redoutaient plus que tout... Sans soutien d’artillerie ou aérien, il fallait 4 ou 5 chars (soit au moins un peloton) pour venir à bout d’un Tigre I. 2 ou 3 engins faisaient ainsi diversion afin de permettre à 1 ou 2 autres blindés de s’approcher pour engager le char allemand de flanc ou à revers sur ses parties les moins blindées. T-34 et Sherman privilégiaient donc leur nombre et leur manoeuvrabilté laissant aussi imaginer les sacrifices que leurs tactiques devaient consentir pour venir à bout d’un seul Tigre I (4).

Entré dans la légende des chars de combat, le Tigre I s’impose d’autant plus dans la psyché de tous les tankistes qu’il n’en existe quasiment plus matériellement parlant. Alors que 48 000 M4 Sherman et 84 000 T-34 furent produits (toutes versions confondues), sur les 1354 Tigre I, seuls 6 sont encore de nos jours en mesure d’être présentés comme étant des modèles d’origine (5). Ils sont cependant dispersés entre la Russie (2 engins), la Grande-Bretagne (1 engin), les Etats-Unis (1 engin). Le plus célèbre est le Tigre I Ausf H 131 du Tank Museum de Bovington. Capturé en Tunisie en mai 1943, il est restauré et est actuellement le seul Tigre I au monde en état de marche. Sa motorisation ayant été restaurée en 2004, le Tigre 131 a, depuis, tenu la vedette avec le Sherman M4A2E8 (6) dans le film Fury de David AYER (2014). Les deux Tigre I restants sont en France. Le premier est exposé à la sortie sud-est de Vimoutiers (Orne) en bordure de la route départementale 979. Appartenant à la commune, il est classé au patrimoine des monuments historiques mais est en mauvais état. Sa restauration, évaluée à 1 million d’euros, est toujours en débat. Identifié sous le numéro d’unité 114, le second est en meilleur état et se trouve aujourd’hui au Musée des blindés de Saumur.

 

Insigne de la 2e Panzer Division SS Das Reich

 

Le Tigre I Ausf E 114 : de la 2e Panzer Division SS Das Reich au musée de Saumur

Le Tigre I Ausf E 114 fait partie des derniers engins de ce type à sortir des chaînes de production. Il est assemblé en avril 1944 sous le numéro 1114e (sur les 1354 Tigre fabriqués par les usines Henschel) et livré le mois suivant. Il est ainsi affecté à l’un des deux bataillons de chars lourds de la 2e Panzer Division SS Das Reich qui participent à la bataille de Normandie : le SS Panzer Abteilung 102. Sous les runes SS, le Tigre 114 aura deux chefs de char : d’abord le SS-Obersharführer Wilhelm SCHMIDT puis le SS-Unterscharführer Arthur GLAGOW. Il sera le quatrième engin du 1er peloton de la 1re compagnie d’où son immatriculation 114.

Stationné aux Pays-Bas au moment où les alliés débarquent en Normandie, le SS Pz. Abt. 102 reçoit d’abord l’ordre de se diriger vers le Pas-de-Calais. Le centre de gravité du débarquement allié se confirmant, l’unité est dirigée vers la Normandie mais en faisant un détour par l’ouest de la région parisienne du fait de la menace aérienne anglo-américaine. C’est en gare de Versailles-Chantiers, que le Tigre 114 débarque de son train pour rejoindre le sud de Caen par ses propres moyens (7). Arrivé le 7 juillet dans son secteur d’opération, soit un mois après le débarquement, il combat autour de la cote 112 pendant tout le mois de juillet. Cette bataille dans une bataille plus importante est représentative de la lutte que mènent alors les Allemands en Normandie. Dans l’incapacité de repousser les alliés à la mer, sans soutien aérien et dans un rapport de forces déséquilibré, soldats de la Heer et de la Waffen SS opposent cependant une résistance acharnée aux alliés. Ainsi, dans le secteur de la cote 112, le verrou tient bon et la progression de ces derniers ne peut se faire qu’avec le retrait des forces allemandes qui se redéploient pour la contre-attaque de Mortain (7-13 août).

Dans l’enfer des combats normands, le Tigre 114 échappe à la destruction. Son équipage ayant été capturé, il est découvert abandonné dans la commune de Brieux à une quinzaine de kilomètres au sud-est de Falaise. Récupéré par des résistants des FFI, il est remis en état de marche et rejoint par ses propres moyens Machecoul, dans la région de Nantes, où l’armée française met sur pied une unité blindée à partir d’engins allemands capturés. Le Tigre 114 reprend donc du service mais sous les couleurs françaises désormais. L’utilisation de carburant et de lubrifiants américains - de bien meilleure qualité que les ersatz allemands – lui permet de prolonger sa vie opérationnelle. Affecté en juin 1945 au 6e Régiment de Cuirassiers sous le nom de « Bretagne », il participe à la réduction de la poche de Saint-Nazaire avant d’être envoyé en Allemagne le mois suivant. Affecté au camp militaire des forces françaises de Münsingen (Bade-Wurtemberg), il est renommé « Colmar ». Contrairement à la quasi totalité des Tigre I (et II) qui ont été détruits au combat ou ont été sabordés, le Tigre 114 finit la guerre en bon état. C’est un engin complet qui dispose encore de son lot de bord et de son deuxième jeu de chenilles (8). Il participe à plusieurs campagnes de tir en dépit d’une optique dégradée et les ingénieurs militaires français l’étudient de près. Engin en avance sur son temps, avec notamment l’usage d’un volant et d’une boîte de vitesses semi-automatique, le Tigre 114 continue d’être un objet d’attention jusqu’en 1955 date à laquelle il cesse toute activité et est retiré du service. Il se trouve alors au camp de Satory.

C’est avec la création du Musée des blindés de Saumur, en 1977, que le Tigre 114 entre véritablement dans l’Histoire sous le numéro 221. Devenu une pièce de musée exceptionnelle, il est installé dans la ville même qui accueille l’École de l’Arme Blindée Cavalerie. Il demeure en l’état mais son moteur qui n’a pas été remis en marche depuis plusieurs décennies est hors service. Des fuites sont détectées et c’est toute une mécanique qui a subi l’épreuve du temps que le musée de Saumur veut rétablir à partir de décembre 2022. À partir de cette date, la décision est prise de rendre à cette magnifique machine de guerre une motorisation fonctionnelle. Le Tigre I 221 entre désormais dans une phase de restauration de plusieurs années à l’issue desquelles il redeviendra "roulant". À terme, il sera le deuxième Tigre I au monde - avec celui du musée de Bovington - capable de se déplacer et de manoeuvrer par lui-même.

Retiré de la salle des blindés allemands de la Deuxième Guerre mondiale, le char a été mis dans un espace voisin où il est encore visible mais en pièces détachées. Cette présentation d’un Tigre I démonté en plusieurs parties est inédite et fait l’objet d’une "exposition évolutive" : un concept original où la présentation du matériel est appelée à évoluer selon l’avancement de sa restauration. En juillet 2023, la tourelle était déposée et séparée de son canon de 88 mm. Le châssis, quant à lui, a été déchenillé et le groupe motopropulseur déposé et confié à une entreprise pour une révision complète. En effet, il n’existe plus de documentation industrielle sur ce genre d’engin, et c’est en Pologne que les responsables du projet recherchent en ce moment certaines pièces de rechange.

Pour le plus grand bonheur des passionnés d’histoire militaire et de chars blindés, le Tigre remotorisé devrait redevenir le numéro 114 en 2025 et participer aux commémorations du 80e anniversaire de la Libération. Cette opération montrera surtout les savoir-faire et les compétences techniques exceptionnelles des mécaniciens du Musée des blindés de Saumur dont le travail repose à la fois sur de solides connaissances mécaniques mais aussi sur une inestimable expérience et intuition de systèmes mécaniques oubliés. Un musée et une association dynamiques qui n’en sont pas à leur première restauration de machines du passé et qui - du Saint-Chamond à l’AMX Leclerc - entretiennent une histoire étonnement vivante.

 

Tigre I Ausf E du SS Pz. Abt. 101 en camouflage trois tons (Normandie, 1944)

 

Fiche technique générale du Tigre I

  • Longueur - 8,45 m
  • Largeur - 3,70 m
  • Hauteur - 3 m
  • Masse au combat - 57 tonnes

  • 5 hommes d’équipage - Chef de char, tireur, chargeur, radio-mitrailleur, pilote
  • Canon de 88 mm
  • 3 mitrailleuses de 7,92 mm (MG 34 et MG 42). 1 en caisse, 1 dans le mantelet en armement coaxial, 1 sur le tourelleau du chef de char pour la défense antiaérienne

 

  • Moteur Maybach HL 230 de 700 CV
  • 540 litres de carburant
  • Autonomie - 195 km (110 km en tout terrain)
  • Suspension par barres de torsion

 

La tourelle en fer à cheval du Tigre I de Saumur et son canon 8,8 cm KwK 36 L/56

Le Tigre I 221 en cours de restauration depuis 2022

 

  1. Cf. L/46 désigne la longueur du canon à savoir 56 fois son calibre (88 mm), donc 4,9 m. Le canon du Tigre est une version dérivée du canon de 8,8 cm Flak 18/36 dont les unités antiaériennes allemandes se sont rendues compte de la terrible efficacité en tir tendu sur les blindés ennemis. Allongé et intégré dans une tourelle le Kampfwagenkanone (KwK) 36 L/56 n’est plus une arme antiaérienne mais devient un formidable canon antichar capable de percer tous les blindages alliés sur les champs de bataille jusqu’à la fin de la guerre.
  2. Cf. Notamment les chars français SOMUA S35, B1 et B1 bis.
  3. Cf. En allemand Ausführung abrégé "Ausf" pour dire « version » ou « modèle ».
  4. Cf. C’est ce qu’essaye de montrer le film Fury (2014) où, dans une scène spectaculaire, le Sergent "Wardaddy" parvient à détruire un Tigre I alors que l’ensemble de son peloton est décimé dans l’action. La scène manque cependant de réalisme avec un Tigre I qui agit de manière isolée et n’utilise pas la longue portée que lui donnent son optique et son canon, des M4 Sherman qui chargent groupés et alignés, qui plus est avec des chefs de char commandant à l’extérieur des tourelles.
  5. Cf. Un septième Tigre I a été reconstitué par des particuliers à partir de plusieurs épaves essentiellement normandes. Prêté au Panzermuseum de Munster en mars 2013, il a été revendu en 2016 à un collectionneur privé américain. Ce Tigre I Ausf E 231 n’a cependant pas de moteur.
  6. Cf. Lui aussi appartenant à la collection du Tank Museum de Bovington.
  7. Cf. Soit une distance d’à peu près 200 km sur ses propres chenilles. C’est une distance importante compte tenu d’une vitesse maximale de 40 km/h sur route, de la mauvaise qualité de l’essence synthétique qui usait rapidement le moteur et d’une absence de confort pour l’équipage.
  8. Cf. Avec ses chenilles de combat d’une largeur de 72,4 cm le Tigre I était trop large lorsqu’il embarquait par voie ferroviaire. Pour un embarquement par train, l’équipage était donc obligé de recheniller l’engin avec des chenilles de transport plus étroites (52 cm). Cette opération durait plusieurs heures et ajoutait à la complexité générale du train de roulement du Tigre (galets disposés en quinconce).

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Bibliographie

  • FLETCHER (David), Char Tigre I. Panzerkampfwagen VI sd.Kfz.181 Tiger I, ETAI, 2013, 160 p.
  • STEIN (Max), Le Tigre de Saumur. La résurrection du fauve, Musée des Blindés Éditions, 2023, 104 p.

 

 

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