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Le canon électromagnétique (EM railgun)
Article mis en ligne le 29 août 2017
dernière modification le 26 octobre 2020

par Nghia NGUYEN

Le prototype de l’EMRG de BAE Systems sur le centre d’essai de Dahlgren

 

Alors que les tensions avec la Chine et la Corée du Nord n’ont jamais été aussi grandes, et que la course aux armements navals bat son plein dans le Pacifique, la Marine américaine avance significativement dans un programme d’armement qui, s’il aboutissait, lui donnerait une puissance de feu particulièrement destructrice tout en révolutionnant à la fois l’artillerie navale et la conception actuelle des bâtiments de guerre.

Le programme en question n’est pourtant pas nouveau. Il a été conçu dans les années 1970, lorsqu’en pleine Guerre froide la DARPA se voyait confier le projet d’Initiative de Défense Stratégique (IDS) destiné à neutraliser les capacités de frappe nucléaire de l’URSS. Étudié par l’Office of Naval Research (1), le programme du canon électromagnétique (EM railgun ou EMRG) a connu un renouveau et une accélération à partir de 2005.

Qualifié de « Star Wars weapon » par le Contre-amiral Matthew KLUNDER (2) – une expression qui marque la filiation du programme avec l’IDS -, l’EMRG a récemment connu des avancées significatives. Ces progrès, qui ont vu la mise en concurrence de deux prototypes (3), permettent aujourd’hui la mise à l’essai à la mer de deux systèmes de puissance comparable (32 mégajoules), alors que d’autres variantes de 3 et 64 MJ sont également testées.

Le principe de l’EMRG

L’EMRG est une pièce d’artillerie révolutionnaire constituée de deux rails conducteurs parallèles dans lesquels circule un puissant courant électrique. Ce courant électrique créé un champ électromagnétique qui propulse à très grande vitesse un projectile inerte (c’est-à-dire sans charge propulsive) placé entre les rails. La force de Lorentz ainsi décrite permet à la munition d’atteindre une vélocité jusqu’à présent jamais atteinte : de l’ordre de Mach 5/7, voire Mach 7,5 sans utilisation de propulseur chimique. On parlera d’hyper vélocité que ne permet effectivement pas la propulsion chimique soumise à des contraintes physiques qui limite la vitesse et la portée des munitions. La balle d’un fusil d’assaut, par exemple, ne se déplace pas à plus de deux fois la vitesse du son à la sortie du canon.

La faisabilité d’une telle technologie a été démontrée en laboratoire à partir de 2007, et en janvier 2008 la firme BAE Systems testait déjà un premier prototype au Naval Surface Warfare Center de Dahlgren (Virginie). La puissance dégagée par un tir est d’emblée phénoménale : 10 MJ en janvier 2008 lors d’un premier essai ; 33 MJ lors d’un deuxième essai le 10 décembre 2010. Ce dernier a permis de tirer un projectile à Mach 5 à 200 km de distance soit une portée 20 fois supérieure à celle des canons actuellement en service (4).

L’EMRG est d’emblée conçu comme un système d’arme avec, autour du canon et de ses munitions, un puissant système d’alimentation électrique, ainsi qu’un système de contrôle capable de gérer des tirs aussi puissants, aussi rapides, aussi lointains. L’ensemble permettra des tirs multi-missions à très grande vitesse sur des cibles que l’on estime comme très éloignées selon les standards de l’artillerie actuelle.

 

Les différents modèles de l’Hyper Velocity Projectile (HVP) adaptés aux canons de l’US Navy. De haut en bas pour le Mk 45, l’AGS, l’EMRG

 

Une révolution de l’artillerie navale (et de l’artillerie)

Ce sont les laboratoires de l’US Navy qui ont conçu l’EMRG dans le cadre du combat naval en surface. Les tests ont cependant montré que l’arme pouvait également avoir un potentiel intéressant pour la défense anti-aérienne, voire anti-balistique, et que même l’US Army s’intéressait de près aux nouvelles munitions de l’EMRG afin d’améliorer les performances de son parc de canons automoteurs M109A6 Paladin.

Le projectile que tirera l’EMRG opérationnel ressemblera à un cône de métal dense (tungstène) enfermé dans un sabot ; l’ensemble pesant à peine 10,5 kg. La puissance de destruction de l’Hyper Velocity Projectile (HVP) sera, cependant, égale à la masse et au carré de sa vitesse soit à Mach 7 l’équivalent d’un obus de 155 mm. Un effet d’artillerie lourde, donc, pour une dizaine de kilogrammes de métal seulement au départ… Selon l’image du Contre-amiral KLUNDER, le HVP aura l’effet « d’un train de marchandises lancé à pleine vitesse » sur son objectif. Aucun missile, aéronef ni blindage n’y résistera directement. Le HVP peut d’ores et déjà être adapté à une artillerie plus traditionnelle – Mk 45 et Advanced Gun System (AGS) de 155 mm qui équipent les premières versions de la classe Zumwalt – pour une portée de 93 km à Mach 3. Avec l’EMRG, il pourra frapper à 185 km (5).

On voit donc tout l’intérêt d’un tel système d’arme, qui donnerait à la Marine américaine une capacité de frappe conventionnelle en profondeur qu’aucune autre arme - hormis le missile - ne peut avoir. Mais alors qu’un missile BGM-109 Tomahawk coûte actuellement 1,4 millions $, le HVP ne coûtera que 25 000 $.

La précision annoncée serait aussi remarquable avec une capacité à toucher une cible de 5 mètres à plusieurs centaines de kilomètres de distance. L’EMRG sera ainsi capable de frapper de la mer des cibles terrestres très en profondeur, mais aussi des aéronefs, d’autres bâtiments de guerre, et des missiles de croisière. Son intérêt paraît d’emblée évident au sein d’une structure anti-missile. Les caractéristiques du HVP font de lui un EKV théoriquement capable de neutraliser des missiles balistiques (6).

Last but not least, le déploiement d’EMRG à bord des bâtiments de l’US Navy supprimerait dans les soutes ces munitions conventionnelles, poudres et composants chimiques, qui ont toujours été des facteurs redoutés d’explosions et d’incendies par les marins.

Des défis technologiques importants

Les progrès réalisés dans la mise au point d’un EMRG par la Navy sont d’autant plus impressionnants que certains seuils technologiques étaient encore bien réels il y a peu. Le premier concernait l’alimentation en énergie nécessaire à l’utilisation d’un tel système. Alors que l’US Navy travaille sur des puissances de tir supérieures à 30 MJ, un tir de 10 MJ requiert à lui-seul une capacité électrique équivalente à 50% de celle produite par le porte-avions nucléaire français Charles-de-Gaulle. Comment fournir une telle capacité à bord d’un bâtiment de la taille d’un destroyer ?

L’utilisation d’un EMRG opérationnel a donc rapidement posé la question de la réduction de la place occupée par sa source d’approvisionnement en énergie, et de l’adaptation du système à la configuration d’un bâtiment militaire (donc de dimension réduite si l’on excepte les porte-avions), tout en étant capable d’assurer une forte production d’énergie. Le problème s’est aussi posé dans son principe pour les catapultes électromagnétiques des porte-avions américains de nouvelle génération, ces derniers disposant cependant de réacteurs nucléaires (7).

Cette sollicitation énergétique est d’autant plus importante que se pose également la question de la cadence de tir de l’EMRG. Un combat réel nécessiterait entre 6 et 10 coups/mn, or le système ne fonctionnant pas selon le principe d’un rechargement classique utilisant les gaz, il faut imaginer un système de pulsations électriques lui-même particulièrement gourmand en énergie. En janvier 2012, la Navy lançait donc un contrat de 10 millions de dollars pour la mise au point d’un puissant système d’alimentation en énergie.

Ce contrat aboutit au concept d’unités PPC (Pulse Power Container). Le principe du PPC est de faire d’un container ISO une batterie (8). Sa conception permet, dès 2014, à la firme Raytheon d’installer pour la première fois un EMRG sur un bâtiment pour des essais à la mer : le USNS Millinocket T-EPF-3. Le déploiement par Raytheon, en 2016, de nouveaux PPC ouvre une nouvelle phase expérimentale (avec le USNS Trenton T-EPF-5) où, désormais, la Navy teste le tir à répétition (9). Cette nouvelle étape est d’autant plus d’actualité qu’en mars 2017, GA-EMS a mis au point un High Energy Pulsed Power Container (HEPPC). Enfermé dans un container 10 pieds, le HEPPC est capable de fournir deux fois plus d’énergie qu’une unité PPC de 20 pieds d’il y a peu. L’assemblage de ces nouveaux PPC permettraient d’emblée des tirs à Mach 6.

Autre défi posé par l’EMRG : la conception de munitions capables de résister à des contraintes physiques énormes du fait de leur vitesse. Des munitions dont les systèmes de guidage embarqués doivent, eux aussi, être capables de résister à des chaleurs et des champs magnétiques extrêmes. Ces paramètres exercent également de très fortes contraintes sur les rails et les isolants divers de l’EMRG, qui connaissent une usure particulièrement accélérée. Il y a encore dix ans, il fallait un nouveau canon pour chaque tir. Aujourd’hui, les progrès réalisés permettent à un tube railgun de réaliser plusieurs centaines de coups avant d’être remplacé.

Un déploiement à l’horizon 2020

En dépit de la longueur du projet dans le temps, des seuils technologiques qu’il a fallu maîtriser, la mise au point d’un EMRG opérationnel semble s’accélérer laissant envisager un déploiement sur les bâtiments de l’US Navy à l’horizon 2020. Les EMRG sont ainsi prévus pour équiper les destroyers de nouvelle génération de la classe Zumwalt. Les deux premiers bâtiments de cette classe sont, cependant, déjà à l’essai avec des AGS 155/62 qui tirent des LRLAP (10) et des missiles hybrides. Ce sera le USS Lyndon B. Johnson DDG 1002 qui embarquera le premier EMRG opérationnel.

 

Le Blitzer de GA-EMS avec ses PPC. General Atomics a également mis au point un EMRG intermédiaire de 10 MJ

 

  1. L’ONR est le département de la recherche de l’US Navy.
  2. Le Contre-amiral Matthew KLUNDER fut le commandant de l’ONR de 2011 à 2014.
  3. Celui de BAE Systems, et celui de General Atomics Electromagnetic Systems (GA-EMS) appelé « Blitzer ».
  4. Les 5’’/54 Mk 42 et Mk 45 sont des canons de 127 mm à chargement automatique. Ils sont construits par BAE Systems.
  5. Les essais actuels permettent d’atteindre la distance de 203 km (110 miles nautiques), avec une recherche pour atteindre les 400 km (220 mn).
  6. Mis au point par la firme Raytheon, l’Extra-atmospherical Killer Vehicle (EKV) est un système d’interception de missile balistique. Ce dernier est détruit par un choc direct qui ne le fait, cependant, pas exploser.
  7. Les porte-avions de la classe Gerald R. Ford sont le USS Gerald R. Ford CVN 78 lancé en 2013, le USS John F. Kennedy CVN 79 lancé en 2015 et le USS Enterprise CVN 80 lancé en 2017. Ces porte-avions sont (et seront) équipés d’un Electromagnetic Aircraft Launch System ou EMALS conçu et testé par General Atomics.
  8. Un container ISO (International Standard Organisation) est un container fabriqué aux normes du transport international, dont les dimensions sont standardisées (10, 20, 30 ou 40 pieds).
  9. Les USNS Millinocket et Trenton sont des Joint High Speed Vessels (JHSV) de la classe Spearhead. Bâtiments logistiques pouvant déplacer 2400 tonnes en charge à 43 nœuds, ils se présentent comme des catamarans en aluminium. Armés par le Military Sealift Command (MSC), ils peuvent accueillir un hélicoptère lourd CH-53 Super Stallion sur une large plate-forme arrière. Modulables et conçus dans le cadre d’emploi du sea basing, ils disposent d’un espace de 1860 m2 avec une rampe d’embarquement. Leurs dimensions les prédisposent pour accueillir l’expérimentation d’un EMRG avec ses PCC.
  10. Le Long Range Land Attack Projectile (LRLAP) est une munition guidée de 155 mm, destinée à frapper des cibles terrestres avec précision et à très longue distance (jusqu’à 74 mn). Conçu par la firme Lockheed Martin pour les destroyers de la classe Zumwalt, le LRLAP est une munition HIGH-TECH pour des tirs à cadence rapide : 10 coups/mn dont 6 devraient pouvoir frapper simultanément la même cible sur deux secondes (système MRSI ou Multiple Rounds Simultaneous Impact). Il n’est cependant pas certain qu’il soit produit eu égard à un coût très élevé (entre 800 000 et 1 million $ pour une munition).

__________

Ressources

  • ESHEL (Tamir), « Huge power containers to drive the future railgun at sea », in Defense update, may 23, 2016.
  • "Rivalités et armes navales du futur", Périscope. Revue de presse stratégique du CESM, n° 6, octobre 2020.

 


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