Mise sur pied au lendemain des attentats de janvier 2015 (1), l’opération Sentinelle vient en renfort d’une autre opération de sécurité intérieure dévolue aux forces armées depuis les années 1990 (2) : le plan VIGIPIRATE (Vigilance et Protection des Installations contre les Risques d’Attentats Terroristes à l’Explosif). Sentinelle correspond à un déploiement sans précédent de militaires dans les lieux publics, passant de quelques centaines de personnels avec VIGIPIRATE à plus de 10 000 hommes et femmes armés. Aujourd’hui, les effectifs de l’opération Sentinelle sont retombés aux alentours de 5000 militaires déployés, mais ils peuvent augmenter à nouveau selon la situation.
La mission reste de renforcer le Plan VIGIPIRATE, de sécuriser une liste de cibles grandissantes, mais aussi de soutenir le cas échéant les Forces de Sécurité Intérieure (polices, Gendarmerie nationale) dans l’action anti-terroriste. Comme pour le Plan VIGIPIRATE, hommes et moyens sont essentiellement concentrés dans la région de tous les risques : l’Île-de-France (fortes densités de population, concentration des centres du pouvoir, des réseaux, des activités…).
La problématique de la sûreté intérieure n’a jamais été exclue du cahier des charges des armées (« contrat opérationnel de protection »), mais les tueries de masse à partir de 2015 – ainsi que la dégradation générale de la situation sociale - ont depuis fait réfléchir le Ministère de la Défense sur un spectre de missions allant, aujourd’hui, de VIGIPIRATE à la guerre civile. Si la réflexion reste médiane entre ces deux types d’engagements, nul doute que l’opération Sentinelle représente la montée d’un cran supérieur dans une situation que beaucoup de spécialistes décrivent désormais comme une « normalité dégradée ». RETEX divers et entraînement des unités à la guérilla urbaine - au CENZUB notamment - ne sont pas non plus exempts d’arrières pensées.
C’est un texte officiel appelé BAT 13-04 qui autorise l’appel aux armées afin de sécuriser des sites sensibles civils (3), partant d’engager des milliers d’hommes supplémentaires sur le territoire national. Décidée par le Président François HOLLANDE, l’opération Sentinelle permet d’emblée de surveiller 325 sites sensibles : gares, nœuds du réseau de transport, sites touristiques en plus des lieux de culte déjà surveillés… Fait nouveau, les établissements scolaires sont désormais définis comme des cibles hautement potentielles. En Île-de-France, l’état-major de commandement de Sentinelle compte 150 personnes installées à Saint-Germain-en-Laye (78). Il commande 8 centres d’opération qui suivent en temps réel - nuit et jour - 4000 militaires et 400 véhicules de patrouille. Ces derniers sont regroupés et accueillis sur la base de Brétigny-sur-Orge (91), qui voit des flux de 8000 personnes toutes les six semaines du fait de la relève des unités.
Durant ces six semaines, les hommes et les femmes de Sentinelle se lèvent à 4.45 du matin pour une fin de journée à 23.00. Les patrouilles quotidiennes représentent une moyenne de 15 km de marche avec un équipement de 25 kilos. Au début de l’opération, l’essentiel des missions correspondait à des gardes statiques devant les bâtiments, ce qui pouvait faire des soldats des cibles. Actuellement, la préférence a été donnée aux patrouilles mobiles (en véhicule ou à pied) : 66% contre 33% de gardes statiques. L’itinéraire des patrouilles est constamment changé afin de ne pas créer d’habitude, et une force de réaction rapide - composée d’un sous-officier et de 7 soldats - est en alerte permanente. Les militaires ont pour mission de protéger, dissuader et rassurer la population, et ils agissent dans le cadre du droit commun.
En s’installant dans la durée, l’opération Sentinelle met les armées - notamment l’Armée de Terre qui fournit l’essentiel des effectifs - sous tension. Au-delà de son coût, elle épuise les militaires qui voient leurs missions s’alourdir en plus d’OPEX déjà contraignantes pour les vies de famille des soldats. Elle perturbe sensiblement un cycle opérationnel (entraînement/projection/remise en condition) déjà tendu. Surtout - quelle qu’en soit l’efficacité -, elle installe inconsciemment l’idée de la participation des militaires à la sécurité intérieure alors que celle-ci devrait normalement relever des polices et de la Gendarmerie nationale.
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Émission de Guillaume ERNER du mardi 26 décembre 2017.
Émission de Guillaume ERNER du mercredi 13 juin 2018.