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Le Maréchal Model. Le « pompier » de Hitler

FELDMANN (Daniel), Le Maréchal Model. Le « pompier » de Hitler, Paris, Perrin, 2022, 414 p.

Article mis en ligne le 1er janvier 2023
dernière modification le 7 juillet 2024

par Nghia NGUYEN

 

Une biographie bienvenue

Chercheur en Histoire, Daniel FELDMANN prépare une thèse sur le commandement allié durant la Deuxième Guerre mondiale. Spécialiste de stratégie, il s’intéresse aux carrières ainsi qu’à la psychologie des grands chefs militaires de ce conflit, ayant déjà co-écrit avec Cédric MAS une biographie sur le Maréchal MONTGOMERY (1) et venant d’en commettre une deuxième sur le Generalfeldmarschall Walter MODEL (1891-1945).

Sans bénéficier de la notoriété d’un MANSTEIN, d’un ROMMEL ou d’un GUDERIAN, Walter MODEL reste connu de tous ceux qui s’intéressent à l’histoire du dernier grand conflit mondial. Acteur de toutes les campagnes allemandes du front Ouest et du front Est, il a laissé l’image d’un officier loyal, énergique, d’une grande compétence tactique, excellant dans le combat défensif au point d’être envoyé dans les parties du front les plus difficiles, voire les plus désespérées à partir de 1944. Il y gagne alors le surnom de « pompier » du Reich à l’image de celui que l’on envoie éteindre les incendies provoqués par les offensives alliées à l’Est comme à l’Ouest.

C’est ce mythe du grand soldat, dur avec les autres comme il le fut avec lui-même, tenant tel un roc alors que tout s’effondre, icône des admirateurs de la Wehrmacht, que M. FELDMANN revisite à commencer par de substantielles pages concernant la jeunesse du jeune MODEL. Tôt atteint d’une myopie à un oeil, Walter MODEL gardera sa vie durant ce monocle vissé à l’œil droit, si caractéristique de sa silhouette. Rien ne le prédisposait à une carrière militaire à commencer par sa constitution physique qui n’était pas des plus robustes, mais c’est en tant que jeune officier qu’il aborde la Première Guerre mondiale. Contrairement à des millions de combattants MODEL ne connaîtra pas vraiment l’expérience du feu. Au moment où il prend le commandement d’une unité de tranchée, une blessure le renvoie du front…

Durant l’entre-deux-guerres, il fait partie des rares officiers retenus dans les rangs d’une Reichswehr anémiée, qui doit faire le tri dans ses rangs pour ne garder que le meilleur. C’est à partir de cette époque qu’il gagne une véritable formation en état-major et qu’il commence à tisser un réseau. Dans une Allemagne en proie à la guerre civile, il fait l’expérience des corps francs sans s’engager plus en avant politiquement. Cependant, et à l’image de ses pairs, il reste idéologiquement marqué à l’extrême-droite et s’accommode parfaitement de la montée du parti national-socialiste.

Le front Est et l’ascension d’un véritable nazi

Lorsque débute le deuxième conflit mondial, MODEL arrive à maturité. Son rôle durant les campagnes à l’Ouest (Pologne et France) est réel mais reste secondaire. C’est avec l’opération Barbarossa et l’ouverture du front germano-soviétique qu’il se révèle, donne sa pleine mesure et qu’il commence à être remarqué en haut lieu. Il reçoit en 1941 le commandement de sa première division panzer (3e division panzer) qu’il conduit jusqu’à Moscou. Lors de la contre-offensive soviétique de décembre 1941 qui stoppe l’élan de la Wehrmacht, il mène son premier grand combat défensif empêchant que la retraite du 41e corps d’armée ne se transforme en débâcle. C’est à partir de ce moment que M. FELDMANN date la véritable ascension de MODEL qui désormais n’apparaît plus comme un banal officier d’état-major.

Le 16 janvier 1942, MODEL s’entretient directement avec HITLER pour la première fois. Il fait partie de la vague des nouveaux commandants d’armées et se voit remettre le commandement de la 9e Armée. À la tête de cette grande unité il va mener deux batailles majeures : celle de Rjev (1942-1943) et celle de Koursk (1943). Lors de la première confrontation, il révèle son talent de tacticien défensif tenant en échec une Armée rouge bien plus nombreuse et lui infligeant des pertes meurtrières. Il va surtout se révéler l’instrument d’une guerre totale à l’échelle de son secteur d’opération. Lorsqu’il évacue le saillant de Rjev en mars 1943, MODEL organise une destruction systématique de l’ensemble du territoire qui aboutit à une famine tuant des dizaines de milliers de personnes en plus des tueries de masse et des exactions de toute sorte. Ce bilan est à ajouter aux pertes militaires soviétiques de l’ordre de plusieurs centaines de milliers de morts. Dès cette époque les Soviétiques instruisent un procès à charge contre Walter MODEL qu’ils considèrent comme un véritable criminel de guerre.

Durant la bataille de Koursk (juillet 1943), la 9e Armée de MODEL est en charge de la pince nord du saillant. C’est le secteur où les moyens blindés allemands sont les moins puissants et où MODEL a décidé de faire porter le poids de la percée à son infanterie. Non seulement il ne parvient pas à percer significativement mais, pire, il est attaqué dans le dos à partir du 12 juillet. Avec l’opération Koutouzov, le saillant d’Orel - situé au nord de celui de Koursk – se transforme en piège et retourne le risque d’encerclement contre les Allemands cette fois. C’est non seulement la 9e Armée qu’il faut sauver mais également les énormes stocks d’approvisionnement et centres logistiques de l’opération Citadelle alors en cours. Encore une fois, MODEL empêche la catastrophe et les combats défensifs qu’il mène permettent une retraite en bon ordre en dépit de pertes importantes.

Après une pause opérationnelle, MODEL reprend un commandement en janvier 1944. Prenant la tête du groupe d’armées Nord (secteur de Leningrad et des États baltes), il est fait maréchal du Reich en mars. Cette nomination n’empêche pas la perte de Leningrad et de l’Estonie mais MODEL conserve l’entière confiance du Führer qui le promeut au commandement du groupe d’armées Sud (Ukraine/Pologne) où il succède, fin mars, au plus prestigieux generalfeldmarschall de la Wehrmacht : Erich von MANSTEIN (1887-1973). Le front allemand craque cependant de partout sous les coups de boutoir de l’Armée rouge. Le point de tension culminant est l’opération Bagration déclenchée le 22 juin, qui vise la destruction du groupe d’armées Centre (Biélorussie). Alors que les lignes allemandes sont enfoncées dès les premiers jours de l’offensive, MODEL reçoit le commandement de ce groupe d’armées. Il a désormais plus de la moitié de l’Ostheer sous sa direction, et s’il ne parvient pas à sauver le groupe d’armées Centre, son improvisation et ses contre-attaques permanentes, comme (surtout) l’essoufflement de l’offensive adverse, permettent une stabilisation de la situation au coeur de l’été 1944.

À cette date, HITLER décide de lui confier le groupe d’armées B (nord de la France). Nous sommes à la mi-août 1944 et le verrou normand lâche après deux mois de bataille meurtrière dans le bocage. MODEL partage le nouveau théâtre d’opération avec le Generalfeldmarschall Gerd von RUNDSTEDT (1875-1953) désigné commandant des forces allemandes sur le front Ouest (Oberbefehlshaber West ou OB Ouest). Il n’a pas le temps d’endiguer l’avance des alliés anglo-saxons et ce n’est que lorsque ces derniers parviennent aux limites de leur élongation logistique que le front se stabilise à la frontière de l’Allemagne et des Pays-Bas. Profitant des erreurs et des mauvais calculs des Britanniques et des Américains, MODEL donne au Reich ses dernières victoires à l’Ouest (batailles d’Arnhem et de la Roer). Elles procurent un répit à la Wehrmacht qu’HITLER voudrait transformer en initiative stratégique, mais l’échec de la contre-offensive des Ardennes (décembre 1944) – durant laquelle MODEL joue un rôle central - ruine tout espoir d’une paix négociée et séparée à l’Ouest.

Dans un rapport de force écrasant en faveur des alliés, le maréchal de HITLER s’enferme plus que jamais dans une rhétorique fanatique. Trop compromis, il sait qu’il n’a pas d’issue et que la justice des vainqueurs l’attend avec la fin prochaine de la guerre. Ses armées sont refoulées et il perd quasiment par négligence le seul pont encore intact sur le Rhin. La prise par les Américains du pont de Remagen, le 7 mars 1945, installe une tête de pont que les contre-attaques de MODEL ne parviennent pas à réduire. Au printemps, ce qui reste du groupe d’armées B est définitivement encerclé dans la poche de la Ruhr. Refusant toute capitulation et se sachant promis à une condamnation pour ses crimes de guerre, Walter MODEL se suicide le 21 avril 1945.

La déconstruction d’un mythe

C’est une monographie fouillée que M. FELDMANN met à notre disposition. Dans l’histoire renouvelée de la Deuxième Guerre mondiale par Jean LOPEZ et son équipe, son travail vient ajouter une brique à la connaissance (en langue française) des grandes figures de ce conflit. Il permet ainsi de déconstruire les idées reçues et entretenues autour des grands chefs militaires allemands par les mémorialistes d’après-guerre : unique responsabilité du Führer dans les catastrophes militaires, compétences hors normes des uns systématiquement contrariées par la mégalomanie de ce dernier, irresponsabilité idéologique...

Maîtrisant les fonds d’archives américains, britanniques et allemands (y compris ceux se trouvant en Russie), M. FELDMANN éclaire de manière particulièrement critique ce que fut le Maréchal MODEL. Loyal, il ne le fut pas vis-à-vis de ses alter ego du corps des officiers avec lequel il eut des rapports exécrables, mais avec le régime nazi et ses hiérarques. Personnalité colérique, cynique et grossière MODEL se plaisait à terroriser, humilier et insulter ses subalternes. Abrasif, il n’allait cependant pas au-delà lorsqu’il était remis à sa place, parfois même par un subordonné. Décrit comme un pervers par l’historien, il devait surtout les faveurs de HITLER au fait qu’il n’appartenait pas à la caste aristocratique et traditionnelle des officiers prussiens tout en incarnant la conformité de l’officier nazi. Un trait qui devait se renforcer particulièrement après l’attentat du 20 juillet 1944.

M. FELDMANN décrit une personne brutale et redoutée dans tous les états-majors qu’on lui a confiés. Esprit rapide mais sans empathie, MODEL aime le rapport de force et il met en permanence la pression à son entourage. Sa dureté humaine a souvent été contre-productive et nombreux sont les officiers ayant demandé leur mutation afin de ne plus avoir à travailler avec lui. Par ailleurs, la fine connaissance de l’historien à l’endroit des questions stratégiques et tactiques permet de relativiser l’image que les mémorialistes ont forgé de Walter MODEL, à savoir celle d’un tacticien hors-pair. Officier de terrain, proche de l’action sans être proche de la troupe, MODEL est un tacticien talentueux mais sans vision stratégique, voire sans vision tout court. Il ne perçoit que l’intérêt du moment au profit de son seul commandement, sans se soucier des conséquences de ses actes et de ses demandes (notamment en renforts) pour les commandements voisins. Maître en matière d’improvisation, de ratissage des arrières du front, de mise sur pied d’unités ad hoc (Kampfgruppen), il ne fait que reculer. L’impréparation logistique de l’opération Herbstnebel comme la perte du pont de Remagen – dont la responsabilité retombe sur RUNDSTEDT – soulignent aussi les limites des qualités militaires de MODEL dont le seuil de compétence se situait davantage au niveau de la division que de l’armée et du groupe d’armées.

Son commandement a, surtout, été peu regardant et peu économe en vies humaines qu’elles aient été militaires ou civiles. Aux pillages, destructions et exécutions de ses propres soldats, MODEL ajoute la mise en oeuvre méthodique d’une politique de « terre brûlée » à l’encontre de l’ennemi soviétique et des populations civiles. Si on ne peut lui imputer tous les crimes commis, notamment dans le saillant de Rjev, la dureté de ses ordres a incontestablement créé les conditions d’une brutalisation des troupes allemandes rendant possible d’innombrables exactions à l’encontre des populations. Le Maréchal MODEL est, en ce sens, représentatif de la guerre totale voulue par les nazis sur le front Est comme ailleurs.

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  1. Cf. FELDMANN (Daniel) et MAS (Cedric), Montgomery, Economica, 2014, 192 p.

 

Walter MODEL et Adolf HITLER le 6 mars 1942

 

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