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Lorsque l’État se délite, les minorités se font la guerre

BONNAMY (Jean-Loup), « Lorsque l’État se délite, les minorités se font la guerre », in Le Figaro, 5 février 2018.

Article mis en ligne le 24 février 2018
dernière modification le 15 novembre 2020

par Nghia NGUYEN

Rixe entre migrants à Calais en mars 2016 (source - Paul EDWARDS, The Sun/SIPA)

 

Rixe à Calais, éviction des Roms par des habitants de la cité de Garges-lès-Gonesse... Jean-Loup Bonnamy s’inquiète de la montée des violences entre les différents groupes sociaux, ethniques ou religieux qui cohabitent dans les périphéries françaises, où l’État de droit semble avoir déserté depuis longtemps. Ancien élève de l’École normale supérieure, Jean-Loup Bonnamy est agrégé de philosophie, et spécialiste de philosophie politique.

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Parfois, deux événements indépendants surviennent en même temps et nous frappent par leur ressemblance. Et, souvent, cette ressemblance qui relie deux événements par ailleurs sans rapport nous instruit sur l’état de notre société.

Ce fut le cas ces derniers jours. Le jeudi 1er février, à Calais, une grande rixe opposait migrants afghans et migrants érythréens. Une vingtaine de personnes ont été blessées, certaines par armes à feu. La veille, à 280 kilomètres de là, à Garges-lès-Gonesse (95), des jeunes d’une cité délogeaient violemment un groupe de squatters Roms qui occupaient en toute illégalité la maison de Youcef, un retraité du quartier.

Cet épisode illustre à la fois la crise identitaire, la démission de l’État (incapable de rendre son bien à un citoyen), le recours à la violence privée qu’induisent une telle démission et l’importance dans les quartiers populaires de la violence mais aussi des rapports de solidarité internes à la cité. Sur les réseaux sociaux, on pouvait lire ceci : « On dit qu’à cause de la cité, il n’y a pas de sécurité, mais c’est grâce à la cité que Youcef a récupéré sa maison ! ». Il ne s’agit là que d’un énième heurt entre jeunes des cités et Roms. Déjà en 2015, le géographe Christophe Guilluy, lors de son audition par le Sénat, déclarait à propos de l’électorat maghrébin : « En analysant les résultats des dernières élections municipales, je me suis rendu compte que dans toutes les communes de Seine-Saint-Denis qui ont basculé à droite, un campement rom illégal s’était récemment installé. »

Cela nous invite à relativiser (sans toutefois l’abandonner entièrement) la thèse du géopoliticien Samuel Huntington sur « le choc des civilisations ». Après la chute du l’URSS, contre Francis Fukuyama qui annonçait « la fin de l’Histoire », Huntington prophétisait une nouvelle période de conflits. Il avait vu juste en annonçant la montée de l’islamisme ou le réveil des crispations identitaires, amenées à remplacer les idéologies défuntes (communisme, fascisme…) comme moteur de la violence politique. Mais il pensait que cette nouvelle violence identitaire prendrait la forme d’un affrontement entre civilisations : Occident contre Asie (dominée par la Chine), Occident contre monde islamique…

Or, plutôt qu’à un grand choc global entre civilisations, nous assistons à une multitude de chocs locaux à l’intérieur de chaque civilisation. Par exemple, le monde musulman est aujourd’hui déchiré par une grande guerre entre musulmans chiites et musulmans sunnites. L’Arabie Saoudite préfère s’allier avec des puissances non-musulmanes, comme les États-Unis ou même Israël, plutôt que de rechercher une détente avec l’Iran. Parallèlement, l’Iran recherche l’appui d’autres puissances non-musulmanes comme la Russie ou l’Inde pour faire face à son rival saoudien. De même, l’Asie ne s’est pas unie et liguée contre l’Occident. Mais au contraire des pays comme le Japon ou le Vietnam recherchent une alliance avec les États-Unis pour conjurer le péril chinois. En Asie ou au Moyen-Orient, c’est le voisin proche qui est l’ennemi mortel, plus encore que l’Occident lointain.

Dans nos sociétés occidentales multiethniques, cette implosion généralisée prend la forme d’affrontements violents à l’intérieur de chaque communauté minoritaire ou entre différentes communautés minoritaires ou entre bandes rivales de différents quartiers populaires. Comme nous venons de le voir à Calais ou à Garges-lès-Gonesse. Cette réalité était déjà bien perceptible dans les émeutes de l’automne 2005. En effet, un rapport des Renseignements Généraux indiquait qu’au cours des émeutes « aucune solidarité n’a été observée entre les cités, les jeunes émeutiers s’identifiant par leur appartenance à leur quartier d’origine et ne se reconnaissant pas dans ceux d’autres communes ».

Ni l’extrême-droite ni l’extrême-gauche ne peuvent comprendre cela. En effet, les deux extrêmes de notre échiquier politique partagent une même idée : les habitants des quartiers populaires seraient profondément unis. L’extrême-gauche pense que les habitants des quartiers populaires sont les nouveaux damnés de la Terre et que leur révolte renversera l’ordre capitaliste honni. L’extrême-droite pense qu’il existe une conspiration des quartiers populaires contre la France.

Or, à l’opposé de cette unité fantasmée, c’est la division qui caractérise les quartiers populaires. Une division profonde et irréversible. Dans les quartiers populaires, comme ailleurs, on trouve deux types de personnes : les délinquants (une minorité) et les honnêtes gens (une majorité). Les délinquants se détestent entre eux, car ils sont rivaux et concurrents. Un caïd déteste bien plus le caïd du quartier d’en face qu’il ne déteste la police. En ce qui concerne les honnêtes gens des quartiers populaires, ils sont les premières victimes des délinquants avec qui ils doivent cohabiter dans le même quartier tout en les haïssant. On ne dira jamais assez le calvaire de la femme de ménage malienne ou algérienne qui doit baisser les yeux devant les dealers en rentrant chez elle.

Illustration tragique, le premier mort des émeutes de 2005 fut le courageux gardien d’immeuble Salah Gaham, né le dans la ville algérienne d’Annaba, et mort asphyxié à Besançon, dans le quartier populaire de Planoise, alors qu’il portait secours à des étudiants menacés par un incendie qu’avaient allumé des criminels du quartier. Un an plus tard, en 2006, la jeune étudiante sénégalaise Mama Galledou fut brûlée vive dans un bus marseillais attaqué et incendié au cocktail molotov. De même en 2010, un jeune homme d’origine algérienne, Mohamed Laidouni, était tué sous les yeux de sa famille par une bande des Mureaux. Sa voiture ayant été éraflée, il avait proposé de faire un constat à l’amiable. On lui avait alors répondu « Un constat ? Tu ne vas pas faire ton Français ! » avant de l’assassiner.

Cette situation n’est pas propre à la France. En novembre 2012, le célèbre hebdomadaire marocain « Maroc Hebdo » s’inquiétait de l’immigration africaine et faisait sa une sur « Le Péril Noir ». Aux États-Unis, notamment du fait des guerres entre gangs de quartiers différents, 93% des Noirs victimes d’homicide sont tués par d’autres Noirs. Un chiffre que les médias oublièrent de nous communiquer lorsqu’ils passèrent tout l’été 2017 à agiter le chiffon rouge des fameux « suprémacistes blancs » et à multiplier les reportages sur le Ku Klux Klan après les événements de Charlottesville.

Il ne s’agit pas d’un phénomène nouveau. Déjà, l’historien arabe Ibn Khaldun (XIVe siècle) soulignait le morcellement des tribus de Bédouins et la haine qu’elles se vouaient entre elles. Cependant la mondialisation, en fragilisant les États et en suscitant partout une grande angoisse identitaire, renforce ce phénomène. Au XVIIe siècle, le philosophe anglais Hobbes, traumatisé par la guerre civile anglaise (une guerre politique sur fond religieux), avait théorisé « la guerre de tous contre tous », à laquelle seule l’émergence d’un État puissant et efficace pouvait mettre un terme. Il s’agissait pour l’État, comparé au monstre biblique du Leviathan, de tenir toutes les factions en respect pour les empêcher de s’entretuer et de plonger le pays dans le chaos par leurs luttes incessantes.

Aujourd’hui, nous assistons à la montée des communautarismes et au délitement de l’État. Il est urgent de restaurer l’autorité de l’État si nous ne voulons pas voir revenir la guerre de tous contre tous.

Jean-Loup Bonnamy

 


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