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Nous ne sommes pas dans la comédie humaine, nous tirons à balles réelles

DEVECCHIO (Alexandre), « Général Pierre de Villiers : Nous ne sommes pas dans la comédie humaine, nous tirons à balles réelles », in Le Figaro, 17 novembre 2017.

Article mis en ligne le 19 novembre 2017
dernière modification le 12 novembre 2020

par Nghia NGUYEN

À la suite d’un grave désaccord avec le président de la République sur la question budgétaire, il avait démissionné de son poste de chef d’état-major des armées, provoquant la première crise du quinquennat Macron. Dans Servir (Fayard), Pierre de Villiers explique les raisons profondes de cette rupture. Il y dit aux Français la vérité sur l’état de nos forces armées et sur l’ampleur des menaces qui pèsent sur notre pays.

« Poète revendicatif », c’est ainsi que l’avait qualifié Christophe Castaner, le porte-parole du gouvernement, après sa démission fracassante du poste de chef d’état-major des armées cet été. S’il aime citer Vigny (« L’honneur, c’est la poésie du devoir »), Pierre de Villiers ne revendique rien. Celui qui a officié au Kosovo et en Afghanistan apparaît comme un serviteur de l’Etat d’une extraordinaire humilité. Le 17 juillet 2017, deux jours avant d’annoncer sa décision au président de la République, il a rangé son casoar, ces plumes blanches et rouges comme le sang, dans sa boîte. Comme le veut la tradition, ce symbole saint-cyrien lui avait été remis quarante ans plus tôt, à son entrée dans la célèbre école militaire. Il le gardait précieusement sur son bureau. « Quel gâchis d’en être arrivés là, alors que nous aurions pu faire autrement ! », se dit-il. Pour autant, il n’en conçoit aucune amertume. Son livre n’est pas un règlement de comptes. « Trop jeune pour écrire [ses] Mémoires », il veut se tourner vers l’avant. Alors que la situation géopolitique mondiale est plus complexe et tendue que jamais, que la menace islamiste continue de peser sur notre pays, il souhaite montrer que la France a encore un rôle à jouer. À condition de savoir conserver et rénover notre modèle d’armée avant qu’il ne soit trop tard.

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Le Figaro Magazine - Au début du livre, vous expliquez que vos relations avec le président Macron ont toujours été des relations de confiance. Pourquoi avoir démissionné ?


Général Pierre DE VILLIERS - J’ai toujours veillé à la notion de franchise et de vérité que tout subordonné doit à son chef. Le vrai courage, c’est de lui dire la vérité. Le 19 juillet, deux raisons m’ont conduit à démissionner. La première : une divergence de fond sur les arbitrages budgétaires en ce qui concerne l’effort de défense en 2017 et 2018. L’annulation de crédits de 850 millions d’euros a des conséquences immédiates sur la vie des soldats, en termes d’équipement notamment. J’ai alors considéré en responsabilité ne plus être en mesure d’assurer la pérennité du modèle d’armée auquel je croyais pour garantir la protection de la France et des Français, aujourd’hui et demain. La deuxième raison tient aux propos tenus par le président de la République le 13 juillet à l’hôtel de Brienne, qui ont dégradé le lien de confiance qui doit unir le président de la République et le chef d’état-major des armées. Lien qui est fondamental compte tenu de la période que nous vivons, alors que nous sommes sous pression double avec le retour des Etats puissances et le terrorisme islamiste qui nous a frappés sur notre sol et que nous combattons en « défense de l’avant » à l’extérieur.

Pourtant, je n’ai pas écrit ce livre en réaction à ma démission. Je le porte dans mes tripes depuis longtemps. Je l’aurais écrit si j’étais parti à l’été 2018 comme prévu, suite à ma prolongation en juin dernier. J’estime qu’à l’aune de mon expérience - sept ans et demi à la tête des armées, dont quatre ans comme numéro deux et trois ans et demi comme numéro un -, j’ai une expérience et une vision à faire valoir. La problématique budgétaire est fondamentale, mais il s’agit d’un livre qui la dépasse : c’est un livre de stratégie tourné vers l’avenir. Je n’ai pas encore l’âge d’écrire mes Mémoires.

  • Revenons à la question budgétaire. Vous écrivez que depuis 2007 et la révision générale des politiques publiques, l’armée a tout donné…

Le costume est au plus juste, nous sommes à l’os. Pour vous donner quelques chiffres, nous avons perdu en effectifs 40.000 militaires entre 2008 et 2014. Sur cette même période, nous avons supprimé 50 formations de l’armée de terre, 17 bases aériennes et désarmé 20 bateaux. Bien sûr, il y a des chantiers à terminer, à repenser : la coopération européenne, l’amélioration du système d’acquisition de nos équipements, aller plus loin en termes d’externalisation. Mais il est difficile d’imaginer qu’il soit possible de faire des gains substantiels, par la rationalisation et la transformation, au-delà de ce que nous sommes en train d’effectuer. L’Allemagne va passer de 1,2 à 1,5% du PIB en quatre ans. Demain, nous serons peut-être derrière l’Allemagne (qui n’a pas le même PIB que nous) en termes de budget. Cela donne à réfléchir. Quand on fait des efforts, il faut qu’il y ait un retour sur efficacité. Nous avons le sentiment que les armées se sont transformées en profondeur et de manière exemplaire depuis vingt ans, alors que les menaces n’ont cessé d’augmenter. C’est cet effet ciseaux qui a conduit à ma divergence avec le président de la République sur les budgets 2017 et 2018.

  • La vie quotidienne des soldats s’est-elle dégradée ?

La condition première pour gagner au combat, ce sont les forces morales. Les forces morales dépendent de la vie quotidienne : l’alimentation, l’habillement, les conditions de vie. Mais surtout, j’aurais dû commencer par là, la qualité de l’arrière. Je pense à l’échec du logiciel Louvois qui a fait que, pendant de longs mois, de nombreux hommes ont été privés de solde correcte ; ce problème n’est pas totalement réglé. Les familles ont été fragilisées par l’absence, environ deux cents jours par an, par l’imprévisibilité de l’emploi du temps, par le célibat géographique qui s’est banalisé. Il faut veiller à ne pas perdre le soutien des familles. Quand la famille tient, le moral tient.

  • Vous déplorez que les « diplômés financiers » ne comprennent rien à la chose militaire…

L’opposition systématique à Bercy ne m’intéresse pas. Les militaires n’ont pas le monopole du service. La souveraineté économique est fondamentale, autant que la souveraineté de défense. Mais, alors qu’ils n’ont pas connu le service militaire, nos élites, nos dirigeants, en tout cas les plus jeunes, doivent faire l’effort de connaître la réalité de nos armées. Je veux faire comprendre les enjeux de défense et de stratégie. Lorsque j’étais chef d’état-major des armées, j’ai voulu donner la parole aux militaires qui sont confrontés à la violence de la guerre. Dans l’histoire de France, lorsque les militaires ne se sont pas exprimés sur les questions stratégiques, les conséquences ont souvent été tragiques. Il faut penser l’action dans la durée.

J’ai été, juste avant de quitter mon poste, invité à m’exprimer devant la dernière promotion de l’ENA dans le cadre d’une journée consacrée à la défense. Cela a été un exercice extrêmement intéressant. J’ai senti que j’ai répondu à une attente profonde des jeunes énarques : les tripes, le cœur. Pour emmener des gens au combat, il faut se poser la question de ce qui fait le sens d’une armée aujourd’hui : quelles sont les valeurs de la France ? Comment peut-on mourir pour la France ? L’aspect trop souvent sacrifié aux enjeux de l’économie et de la finance, c’est l’humain. Le pilier central de ma carrière militaire a été la valeur d’humanité. Nous ne sommes pas dans la comédie humaine. Nous tirons à balles bien réelles.

  • Le monde d’aujourd’hui est-il de plus en plus dangereux ?

Je ne sais pas s’il est plus dangereux, je sais simplement qu’il est dangereux et plus imprévisible. La guerre a changé de visage. Les délais de résolution des crises se sont allongés. Ils sont, non plus de six mois ou un an, mais d’une quinzaine d’années en moyenne. Nous devons également faire face à la dissémination des conflits : le terrorisme est partout, cela nécessite une approche transrégionale. Quand on étudie les grandes défaites dans l’histoire de France, on constate qu’il y a trois facteurs simultanés : une myopie collective, sur fond de difficultés économiques et sociales, avec la complicité des chefs militaires. Je veux dire la vérité. L’islamisme radical ne s’arrêtera pas avec la défaite de Daech au Levant. Lorsque j’étais chef d’état-major des armées, tous les matins à 8 heures on me présentait le point sur la situation ; il y avait en moyenne quatre ou cinq attentats quotidiens dans le monde entier, avec toujours la même origine : l’islamisme radical. La chute de Mossoul et de Raqqa ne marque pas la fin de l’islamisme radical. Celui-ci a deux types de vecteurs : les réseaux, parfois commandés depuis cette zone - c’était le cas des attaques du Bataclan dont nous avons commémoré le deuxième anniversaire - mais aussi des individus fanatisés, en particulier sur le net, qui agissent à titre plus individuel. Pour ceux-ci, il y a trois zones de fragilité et de prosélytisme : la prison, les mosquées radicales, les réseaux sociaux. On ne pourra pas dire qu’on ne savait pas.

  • Des attentats de l’ampleur de ceux du 13 novembre peuvent-ils se reproduire ?

Dans ce livre, j’insiste sur le fait que la protection des Français doit être globale. Elle ne se limite pas à l’opération Sentinelle. La France est une puissance maritime. Nous avons des dispositifs pour défendre nos côtes. Nous avons aussi un dispositif de protection aérienne extrêmement performant. Quand j’étais chef d’état-major des armées, il n’y avait pas une semaine au cours de laquelle ces dispositifs n’étaient pas activés. Enfin, nous sommes à la pointe de la cyberdéfense. Nous avons pris cette orientation en 2008 et cela se poursuit à travers les différents quinquennats. Cette guerre a aussi un coût en hommes et en équipements, et nous devons la mener parce qu’en face de nous, nous avons des Etats puissances qui ont cette capacité et des terroristes islamistes tout à fait performants. Nous sommes aussi opérationnels dans l’espace, avec nos satellites. Dans la protection à terre, il y a la protection de nos emprises militaires, c’est pour cela que j’ai soutenu avec force la nécessité de crédits supplémentaires dès 2017 et 2018, car oui, nous pouvons toujours être attaqués, a fortiori au moment de la défaite de Daech en Irak ou en Syrie. Que vont faire les terroristes qui ne sont pas morts ? Où vont-ils aller ? Vont-ils rentrer en France ? Vont-ils rejoindre d’autres terrains d’engagement ? En Libye, au Sinaï, au Yémen, en Asie ? Plus que jamais, notre territoire national doit être protégé. On ne pourra pas éradiquer dans le monde entier une idéologie en quelques semaines ou mois. Les dispositifs de protection doivent résolument s’inscrire dans la durée car cette menace est et sera durable. Nous avons gagné une bataille, pas encore la guerre.

  • L’autre danger est le retour des « Etats puissances »…

Oui, les Etats réarment. Certains pays tels que la Russie ou la Chine augmentent depuis dix ans leur budget de la défense de 5 à 10%. En 2017, les Etats-Unis vont terminer en budget exécuté probablement près de 700 milliards de dollars. En France, nous étions à plus de 5% du PIB en 1964, aujourd’hui nous en sommes à 1,5%. Depuis 2015, nous avons arrêté de descendre la pente, nous nous sommes stabilisés et commençons à imaginer la remonter. Les grandes puissances s’affrontent, de manière indirecte, dans tous les champs. Toutes ces tensions interétatiques avec les stratégies des différents Etats, mettent en fusion certaines zones géographiques. Il y a encore quelques mois, en Syrie, sur une zone de 20 kilomètres, il y avait des Américains, des Russes, des Turcs, des pays présents au titre de leur stratégie.

Il y a un troisième facteur de danger, souvent la conséquence des deux précédents : les migrations incontrôlées. Les phénomènes migratoires ne simplifient pas la situation stratégique mondiale. Il faut les prendre en compte, avec les drames humanitaires que cela peut causer.

  • Macron croit en la souveraineté européenne et encourage la création d’une armée européenne.

Quand on est en France, on a tendance à dénigrer notre pays. Or elle est perçue comme un grand pays à l’international. Je crois au concept d’indépendance nationale et à l’autonomie stratégique. Cependant, dans mon livre, je consacre effectivement un chapitre à ce que j’appelle « le partage du fardeau ». La défense de la France passe aussi par la coopération internationale, seule solution au mal mondial qu’est le terrorisme. Nous les militaires, l’Europe, nous la pratiquons de manière concrète. C’est une coopération, qui n’est pas une coopération-fusion. La France, le Royaume-Uni et l’Allemagne représentent 60% du budget total des 28 pays. J’ai beaucoup œuvré pour rassembler ces trois nations dans des coopérations en opérations, en équipements, en matière de formation, de logistique, de santé. Soyons pragmatiques, peut-être moins idéologues : ce que nous avons déjà bâti est une base solide.

  • Votre livre s’achève par un chapitre consacré à la jeunesse.

Le sentiment d’appartenance nationale, en particulier chez les jeunes, est réapparu ces dernières années. Comme chef d’état-major des armées, j’allais voir les jeunes sur le terrain, pas pour faire des cocktails mondains, mais pour les regarder les yeux dans les yeux. J’allais courir avec eux. Au premier kilomètre, il y a une certaine réserve. Au deuxième, ils commencent à parler. Au troisième, ils s’essoufflent et, au quatrième, la vérité sort de leurs tripes. Nous incorporons 50.000 jeunes par an, représentatifs de toute la jeunesse de la nation. Ils viennent chercher dans l’armée un sens à leur vie, des valeurs qu’ils ne trouvent plus dans la société, notamment les valeurs collectives : la fraternité, la famille. L’autorité, la discipline, l’exigence également. Nous sommes une institution qui a conservé le principe d’ascension sociale. Ils viennent chercher l’effort, la valeur travail, pas les 35 heures et les loisirs. Les valeurs de la République sont aussi fondamentales dans l’armée. La liberté, liberté chérie, qu’on ne mesure que quand on la perd, on se bat pour elle chaque jour. L’égalité qui est représentée par l’uniforme. Chez nous, il n’y a pas de vedette, pas de discrimination positive non plus. La balle au combat peut atteindre n’importe qui. Enfin, il y a la fraternité, parce qu’on n’arrive jamais à rien seul. Nous faisons de ces jeunes parfois déstructurés des héros, des héros parce qu’ils se battent pour leur chef, pour leur drapeau, pour leur pays. La jeunesse est l’avenir de la France et nous avons une belle jeunesse. Le dernier chapitre, je l’intitule « Aimons notre jeunesse, elle nous le rendra ». Oui, aimons notre jeunesse, elle nous le rendra.

Alexandre Devecchio

 


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