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Tanks for Stalin (2018)
Article mis en ligne le 9 novembre 2019
dernière modification le 14 novembre 2020

par Nghia NGUYEN

Une des nombreuses variantes du char T-34 : un T-34/57 modèle 1940 armé du canon ZIS-4 de 57 mm à haute vélocité qui en fit un chasseur de chars expérimental

 

Le char de combat T-34

L’histoire du char soviétique T-34 est connue. Engin de combat exceptionnel sous bien des aspects, il a constitué une très mauvaise surprise pour la Wehrmacht dès le déclenchement de la guerre germano-russe (juin 1941). Une mauvaise surprise objective du fait des qualités du char en lui-même, qu’est venue accentuer un mépris national-socialiste exacerbé à l’endroit de la Russie.

À la différence des blindés allemands de sa génération – et jusqu’au Tigre I – qui privilégiaient un plan de blindage vertical (donc plus épais et plus lourd pour arrêter les coups), le char soviétique le plus célèbre de tout le conflit présentait un blindage avant de 45 mm incliné à 30%. Surbaissée, sa caisse était également conçue avec des plans latéraux et arrière inclinés. Cette incidence permettait de faire ricocher plus facilement les obus ennemis, et améliorait nettement la protection générale de l’engin sans augmenter l’épaisseur du blindage donc son poids (1). Le T-34 était propulsé par un moteur diesel V2 rustique et fiable de 500 cv, simple d’entretien, dont le carburant s’enflammait moins facilement que l’essence ordinaire. Autre avantage : ses larges chenilles capables de stabiliser 32 tonnes en ordre de bataille sur les sols boueux et enneigés les plus difficiles. Le T-34 avalait ainsi les kilomètres, et pouvait franchir une distance de plus de 550 km, idéale pour les grandes percées mécanisées nonobstant la rudesse de son habitabilité (étroitesse de la tourelle et inconfort du poste de pilotage).

Cependant et à juste titre, ce char de combat peut être considéré comme l’un des meilleurs – si ce n’est le meilleur – de sa génération. Quand bien même des modèles plus performants, spécifiquement conçus pour le surclasser (chars Panther et Tigre allemands), furent rapidement étudiés, testés et produits, le T-34 combattit durant toute la Deuxième Guerre mondiale, et poursuivit sa carrière opérationnelle durant une bonne partie de la Guerre froide. Sans cesse amélioré avec une tourelle agrandie et un armement toujours plus puissant (canons de 76,2 mm à l’origine, de 57 mm, de 85 mm), on le retrouvera sur les champs de bataille de Corée et du Moyen-Orient.

Le pari de Michaël KOCHKINE

Ce sont les origines de ce char blindé mythique que le réalisateur russe Kim DRUZHININ porte à l’écran en avril 2018 (2) avec Tanks for Stalin (Tanki en russe). Le film part de la bataille de Khalkhin Gol (mai-septembre 1939), présentée comme une défaite alors qu’elle fut en réalité une victoire soviétique décisive sur l’armée japonaise du Kwantung, qui disposait d’une arme blindée inférieure numériquement et qualitativement à ce que l’Armée rouge - commandée par le Général Gueorgui JOUKOV (1896-1974) - pouvait lui opposer. Pourtant, c’est à partir d’un retour d’expérience négatif pour les blindés soviétiques durant cette confrontation, que le réalisateur nous fait pénétrer dans les bureaux d’études de l’usine de locomotives n° 183 de Kharkov (3). On y rencontre l’ingénieur Mikhaïl Illitch KOCHKINE (1898-1940) dont l’équipe travaille à la mise au point de deux prototypes d’un nouveau modèle de char, l’A-34 futur T-34.

Bravant l’interdiction faite par STALINE de convoyer par train ses deux prototypes jusqu’à Moscou, KOCHKINE lance les deux chars dans une véritable course contre la montre. En rejoignant par la route Moscou - alors située à 750 km de Kharkov -, le concepteur du T-34 prend d’emblée d’énormes risques : un espion allemand a infiltré l’un des équipages pendant qu’un commando nazi opérant en territoire soviétique tente d’empêcher les chars d’atteindre leur destination. Comme si cela ne suffisait, un groupe de cosaques parvient à les capturer… Cependant et à la manière d’un défi, KOCHKINE entend prouver la vélocité et la fiabilité de ses engins, sachant qu’aucun engin blindé n’a jusqu’à présent réussi à tenir une aussi longue distance en autonomie. Si le réalisateur prend des libertés avec la réalité historique (4), le pari de KOCHKINE fut réellement gagné : l’ingénieur ayant réussi à présenter ses chars à STALINE après leur avoir fait parcourir, en mars 1940, la distance Kharkov-Moscou en six jours.

Un cinéma au service du patriotisme

Avec des acteurs inconnus, au jeu et à la mise en scène un peu artificiels, des uniformes et des engins un peu « trop propres », des moyens qui pourraient aussi paraître dispersés, Tanks for Stalin est loin de correspondre aux standards des blockbusters hollywoodiens. On y remarquera cependant un souci de reconstitution technique qui ne pourra que plaire aux amateurs de chars blindés, notamment avec l’apparition d’un T-35 et, surtout, d’un KV-2.

En fait, le film de Kim DRUZHININ s’inscrit dans un renouveau du cinéma russe perceptible dès le début des années 2010, qui correspond au retour de Vladimir POUTINE au pouvoir (mars 2012). Avec des réalisateurs tels que Karen CHAKHNAZAROV, Fiodor BONDARTCHOUK, Andrey SHALOPA, Alexey SIDOROV on assiste à une production de films reprenant la geste de la Grande Guerre patriotique, exaltant l’héroïsme et le sacrifice russes durant la Deuxième Guerre mondiale (5). Partant de micro épisodes du conflit, s’appuyant sur des faits réels dont certains n’échappent pas aux manipulations de la propagande stalinienne (6), ces productions cinématographiques participent au redressement patriotique que l’actuel président russe entend insuffler au pays.

Les partenaires institutionnels ou non collaborant à la réalisation de ces films indiquent, par ailleurs, la portée véritable des messages envoyés au sein de la société russe et, dans une moindre mesure, au-delà. Au côté du Ministère de la Culture et de la Pravda, on trouvera le Musée de la Guerre, la Société russe d’Histoire militaire (fondée par Vladimir POUTINE), des associations de reconstitution historique et même le développeur russe de jeux vidéos Gaijin Entertainment (7). Si les actuels films russes ne peuvent encore s’imposer à la manière d’un soft power à l’américaine, ils montrent que l’industrie du cinéma russe existe, et qu’elle entend jouer un rôle dans l’affirmation de l’identité et des valeurs nationales russes. En continuant de produire sur le conflit le plus destructeur de l’Histoire, ainsi que sur la contribution essentielle du peuple russe à la victoire sur le Nazisme, le cinéma vient renforcer ce qui est enseigné dans les programmes scolaires, et participe directement à la remobilisation des esprits autour du patriotisme. L’originalité de la démarche réside très certainement dans cette utilisation du cinéma comme vecteur de l’Esprit de défense, alors que le cinéma américain - s’il y participe également mais d’une autre manière - reste avant tout tourné vers un rayonnement mondial et une logique exportatrice et commerciale. Reprenant la tradition cinématographique soviétique, le cinéma russe, sous l’ère POUTINE, s’oriente lui vers une dimension nationale si ce n’est nationaliste.

Tanks for Stalin est d’ailleurs dédié aux hommes qui ont conçus et permis la réalisation du char T-34. Le film est donc à resituer dans cette perspective générale, quand bien même son scénario décrit les deux années précédant l’opération Barbarossa. Lorsque celle-ci est lancée par HITLER, le 22 juin 1941, 892 chars T-34 étaient déjà déployés et en service dans les unités blindées de l’Armée rouge. Mal employés et manquant souvent de carburant, de nombreux T-34 tombèrent entre les mains des Allemands non sans avoir impressionné ces derniers au point qu’ils constituèrent des unités à partir de T-34 capturés (Beutepanzer).

__________

  1. Tout engin de combat – en particulier un blindé – est un compromis entre trois paramètres que sont : la protection, la puissance de feu et la mobilité. L’augmentation des deux premiers (un blindage plus épais ou un armement plus lourd) se fera au détriment de la mobilité : vitesse, manoeuvrabilité et, surtout autonomie et consommation en carburant. L’inverse est tout aussi vrai avec une mobilité augmentée qui ne pourra se faire qu’en diminuant la protection et en limitant l’armement principal (calibre, taille et nombre de munitions). Cette équation est particulièrement nette avec les blindés allemands Panzer IV, Tigre I et II dont la puissance à la fois du blindage et de l’armement ont toujours grevé l’autonomie, la manoeuvrabilité, la vitesse et, in fine, la consommation en carburant ce dont le Reich manquait particulièrement. Quant au Panther, ses qualités étaient contrebalancées par une complexité technique. La Panzerwaffe l’emportait sur deux points, certes essentiels : la qualité des optiques de tir et celle de la formation des équipages. Cependant, d’un point de vue purement technique, le T-34 réalisait un remarquable équilibre jamais atteint par les matériels allemands.
  2. Cf. Kim DRUZHININ, Tanks for Stalin, 2018. Sortie du film en France (sous format DVD) en juin 2019.
  3. Cf. À ce sujet, le retour d’expérience de la Guerre russo-finlandaise (novembre 1939-mars 1940) est autrement plus inquiétant pour l’Armée rouge. Il n’est pas abordé ici, alors qu’il a davantage pesé dans l’accélération des programmes militaires russes.
  4. Cf. La véritable histoire des origines du T-34 dans LOPEZ (Jean) et OTKHMEZURI (Lasha), Barbarossa, 1941. La guerre absolue, Paris, Éditions Passés composés, 2010 pp. 245-247.
  5. Cf. Karen CHAKHNAZAROV, Le Tigre blanc, 2012. Fiodor BONDARTCHOUK, Stalingrad, 2013. Andrei CHALOPIA, Les 28 de Panfilov, 2016. Alexey SIDOROV, T-34 machine de guerre, 2018.
  6. Cf. Le film Les 28 de Panfilov d’Andrey SHALOPA, co-réalisé avec Kim DRUZHININ, dont la réalité historique est remise en cause par les historiens.
  7. Cf. Gaijin Entertainment est notamment le développeur de War Thunder, un simulateur de vol à l’origine devenu depuis un jeu de batailles navales et, surtout, de combats blindés gratuit en ligne. Avec le combat blindé de type Deuxième Guerre mondiale, Guerre froide et époque contemporaine, War Thunder concurrence l’autre grande référence de la bataille blindée-mécanisée : World of Tanks. Les passionnés y trouveront toute la gamme des engins développés durant le dernier conflit mondial avec une mention particulière pour les pays les plus intéressants : l’Allemagne, l’URSS, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne. Intuitif en mode Arcade, disposant d’un graphisme et de textures de qualité, War Thunder permettra même l’utilisation de nombreux prototypes blindés n’ayant pas connu de vie opérationnelle. Le jeu a notamment participé à la réalisation de Tanks for Stalin.

 

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