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Blouse, uniformes et vêtement : réflexions sur la liberté

Natacha POLONY, « Blouse, uniforme et vêtement : réflexions sur la liberté », in Éloge de la transmission, vendredi 25 novembre 2011.

Article mis en ligne le 7 janvier 2017
dernière modification le 17 novembre 2020

par Nghia NGUYEN

Les jeunes Français maîtrisent de moins en moins les bases de la lecture et du calcul, l’école est en train de changer dans sa structure même, s’éloignant peu à peu du modèle républicain, sans que jamais on ne demande son avis au peuple, les propositions des principaux candidats à l’élection présidentielle se rejoignent pour célébrer l’abandon de toute transmission des savoirs au profit d’une évaluation des « compétences », mais la seule aspérité qui émerge d’un débat sur l’école digne d’une disputatio médiévale sur le sexe des anges est la proposition de l’UMP d’expérimenter un « vêtement commun » dans les écoles. Là, tonnerre de protestations, dénonciations ironiques des « idées rétrogrades », mépris affiché à droite comme à gauche – et c’est bien tout l’intérêt d’un projet qui apparaît comme révélateur des unanimismes convenus. Voyons, cette idée-là n’est pas « moderne », et c’est son principal défaut.

Levons d’emblée un malentendu. Ceux qui sont à l’origine de cette proposition, formulée lors d’une convention UMP sur la Nation, ne sont justement pas de coupables nostalgiques des hussards noirs de la République et de cette école qui, bon an mal an, transformait un fils de paysan en instituteur, et un fils d’instituteur en Normalien. Ceux-là, les affreux réacs, ont tant de motifs d’être ostracisés qu’ils n’osent même plus ajouter celui du vêtement. Non, les promoteurs du « vêtement commun » sont plutôt à rechercher parmi les admirateurs d’un modèle anglo-saxon dans lequel l’uniforme marque une appartenance à l’établissement scolaire censée compenser l’appartenance à la communauté ethnique ou religieuse, fondement de la société multiculturelle.

Il est d’ailleurs significatif que ce soit le « vêtement commun » et non la blouse qui soit mis en avant pour masquer les inégalités. « Vêtement commun », et non « uniforme », qui serait la véritable dénomination, mais choquerait par trop les aimables libertaires si nombreux dans le cénacle des élites médiatiques. Uniforme, voilà qui vous a des allures martiales. Intolérable ! C’est oublier que les facteurs, les garde-champêtres et les pompiers portent également un uniforme. Car l’uniforme n’a rien de belliqueux. Il est simplement l’extériorisation d’une fonction qui, ainsi symbolisée, supplante la personne, l’individu spécifique qui revêt cet uniforme. La blouse, davantage conforme à la tradition scolaire française, vient recouvrir l’habit pour le protéger des taches et des accrocs qu’implique un travail nécessitant le maniement d’outils et d’objets divers. Du bleu de travail de l’ouvrier à la blouse blanche du médecin, et passant par le tablier du boucher, ce vêtement marque la séparation du temps et de l’espace, le moment du travail différent du moment de l’oisiveté.

Or, voilà bien ce que détestent les adorateurs d’une modernité vue comme le triomphe de l’individu sur tout ce qui pourrait limiter sa toute puissance. Quand Jean-Michel Apathie apostrophe le ministre de l’Education Nationale, au Grand Jury RTL, pour lui signaler qu’en tant que libéral, attaché à la liberté, il devrait défendre la liberté des adolescents à s’habiller comme ils veulent (ce à quoi Luc Chatel a fort maladroitement répondu, tant il devait partager les convictions de son interlocuteur), il démontre combien l’avatar moderne des libéraux rejoint une fois de plus les lubies des gentils libertaires. Pauvre liberté, réduite au droit des « jeunes » à enrichir une industrie textile employant des semi-esclaves d’Asie pour assouvir les rêves de mode d’Occidentaux en voie de paupérisation.

Blouse ou uniforme, en imposant un frein à ce règne de l’apparence, offrent aux jeunes la plus essentielle des dignités : la possibilité de développer leur intelligence, de se distinguer par leur pensée, bref, de se montrer authentiquement libres. Encore faut-il, pour le comprendre, n’avoir pas totalement renoncé à un vocabulaire qui semble si ringard aux oreilles des libéraux-libertaires, et qui parle d’aliénation et d’émancipation.

Bien sûr, puisque tous les arguments sont bons, certains expliquent que, puisque blouse et uniforme ne masqueront jamais totalement les inégalités sociales, autant laisser celles-ci s’exprimer à fond. Les pourfendeurs de l’« hypocrisie » ne sont pas à un sophisme près. Et quand Bruno Le Maire, concepteur du projet UMP pour la présidentielle, qui se proclame encore gaulliste, justifie son rejet de la proposition de ses troupes par le fait que ses enfants n’aimeraient pas porter un uniforme, on s’aperçoit que, par delà les héritages usurpés, les poncifs post-démocratiques selon lesquels adultes, enfants, maîtres, élèves, nous serions tous égaux et pareillement légitimes, a progressé dans la droite libérale.

Mais le plus regrettable est sans doute que ce débat, longtemps interdit, ne ressurgit qu’à l’occasion d’une américanisation croissante de la société française. De même que la criminalisation du patriotisme ne laisse plus subsister que sa forme comique, à travers des propositions de salut au drapeau calquées sur les cérémonies américaines, de même le « vêtement commun » – dont on nous précise qu’il pourrait être un « T-shirt aux couleurs de l’école » - n’a que peu à voir avec l’élément visuel symbolisant la spécificité de l’espace scolaire comme lieu de travail où les identités n’ont pas à prendre le pas sur les savoirs communs transmis par le professeur. On « supportera » son établissement comme n’importe quelle équipe de foot, et voilà tout le lien qui peut encore nous unir.

Blouse ou uniforme seraient parmi les éléments de restauration d’une école républicaine qui permette aux jeunes de devenir autre chose que les victimes consentantes d’un abrutissement consumériste sur fond de délitement de la Nation et de processus de dé-civilisation. Encore faut-il les inscrire dans une démarche cohérente, qui ne vienne pas contredire ce qu’ils sont censés promouvoir. Mais l’art de penser en systéme est aujourd’hui la chose du monde la moins bien partagée.

Natacha POLONY


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