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Sociologie des adolescents musulmans (2018)

JAIGU (Charles), « Nouvelle jeunesse radicale », in Le Figaro, 11 avril 2018.

Article mis en ligne le 12 avril 2018
dernière modification le 15 novembre 2020

par Nghia NGUYEN

Anne MUXEL et Olivier GALLAND

 

Dans un livre choc, une équipe de sociologues de Sciences Po et du CNRS décrit une fraction de la jeunesse imprégnée par l’Islam rigoriste, voire le complotisme. Publié il y a dix jours, le livre codirigé par Anne Muxel et Olivier Galland a déjà beaucoup suscité le débat. Nous les retrouvons dans un bureau au Centre de recherche politique de Sciences Po, où Anne Muxel est directrice de recherche. Tous deux ont répondu à l’appel du CNRS, au lendemain des attentats de janvier 2015, invitant à lancer des enquêtes sur les causes proches ou lointaines de ce djihadisme à la française.

Trois ans plus tard, ils ont visité 23 lycées des académies de Lille, Créteil, Aix-Marseille et Dijon, interrogé 7000 lycéens de 15 à 17 ans, qui ont répondu par écrit à 85 questions portant sur leur lien avec la religion, leur appartenance politique, leur regard sur des délits plus ou moins graves, leur manière de s’informer. L’étude a été complétée par de nombreux entretiens, individuels ou en groupe. Un autre sondage a été effectué auprès de 1800 jeunes de 15-17 ans, dans toute la population, afin de nuancer les observations du premier, qui surreprésentait la communauté musulmane.

Le résultat permet de cerner un « halo de radicalité » chez les 15-17 ans, qui va de la « radicalité protestataire » à une « radicalité de rupture ». La jeunesse est par définition prédisposée à contester l’ordre établi, mais il semble que cette fois-ci l’alignement des planètes soit inquiétant. On en a d’ailleurs la preuve électorale, puisque en 2017 la présidentielle a démontré dans les urnes que la question était plus que d’actualité. Un jeune sur deux, âgés de 18 à 24 ans (51%), a donné sa voix à une force radicale ou hors système. Soit dix points de plus que l’ensemble du corps électoral.

Il faut donc se réjouir de ce livre, qui se concentre sur la comparaison entre les ados musulmans et les autres. Cet effort s’inscrit dans une double tendance très salutaire. La première est l’impérieux besoin de connaître. L’interdiction des statistiques ethniques officielles a longtemps inhibé les recherches démographiques ou sociologiques précises sur les Français de confession musulmane. Elle perdure, mais les enquêteurs, avec les moyens du bord, la contournent. En 2016, l’étude conduite par l’Institut Montaigne sur l’Islam en France avait ouvert la voie.

La deuxième tendance est le refus par de nombreux chercheurs de souscrire à une sociologie culpabilisante, qui explique la dérive djihadiste par l’humiliation coloniale, le sentiment pro-palestinien ou le déclassement économique. Les auteurs nomment l’Islam fondamentaliste comme cause certaine d’une nouvelle « tentation radicale » en France. Ils refusent de censurer le résultat de leur recherche au motif que cela reviendrait à « jeter de l’huile sur le feu », « entrer dans le jeu du FN », ou encore « susciter l’islamophobie ». Arguments pusillanimes et dangereux, car ils renforcent le sentiment d’impunité de ceux qui portent en France le fondamentaliste islamique. « La radicalité religieuse n’est pas principalement la fille de l’exclusion socio-économique, et sa racine spécifiquement religieuse semble forte », concluent les auteurs, qui ont aussi interrogé les enfants des classes moyennes musulmanes pour établir ce diagnostic. « L’adhésion au fondamentalisme croît avec le niveau d’aisance des familles », insistent-ils. Cela donne donc raison à ceux qui soutiennent que le djihadisme découle du fondamentalisme islamique.

Mais les auteurs soulignent que la tolérance pour la violence, surreprésentée chez les garçons, est une autre cause structurante de cette nouvelle radicalité. Ce qui conforte aussi la thèse selon laquelle l’Islam ne sert qu’à habiller un désir de violence qui n’a pas grand-chose à voir avec lui. « C’est un peu un faux débat, pour nous, les deux affirmations sont vraies », répondent en chœur Galland et Muxel. À ceci près qu’ils pointent avec beaucoup plus de clarté le lien entre l’Islam orthodoxe et la tentation radicale. Ils relèvent la plus grande radicalité idéologique des lycéens musulmans, dont un tiers soutient les actes religieux violents - beaucoup plus que les chrétiens ou les athées.

L’enquête révèle d’autres aspects. Et tout d’abord la montée en puissance massive chez les adolescents du doute systématique à l’égard de la mise en récit du monde par les médias - nous autres journalistes -, les politiques et les scientifiques. L’affirmation par plus de la moitié des lycéens que la CIA a organisé les attentats de 2001 en est la démonstration sidérante. Curieusement, l’école est à l’abri de cette nouvelle radicalité, même si les élèves rejettent nombre de ses enseignements. Quant à la famille, elle ne suscite aucun rejet particulier. Ce sont donc les institutions lointaines, gouvernements, partis, médias, qui en prennent pour leur grade. Cela ouvre un boulevard aux théories du complot dont le succès provient « d’un double mouvement de démocratisation du marché de l’information et d’une révolution de l’offre des produits sur ce marché, notamment INTERNET, alors que jusque dans les années 90, le savoir stigmatisé était relégué aux marges, la frontière entre ce qui est perçu comme discours marginal et discours dominant est aujourd’hui plus ténue », explique l’un des contributeurs. À cela il faut ajouter le fait que « l’explication complotiste procure des bénéfices narcissiques, car cela permet de dévoiler une réalité cachée, de faire partie du cercle de ceux qui savent ».

Ce complotisme diffus conforte la dénonciation du « système politique, économique, social et culturel, et, plus largement, des normes et des mœurs en vigueur dans la société ». Il est lui-même renforcé par une vision du monde inconciliable avec celle des démocraties libérales. Les auteurs ont mis au point un « indice d’absolutisme religieux » qui mesure ceux qui considèrent qu’une seule religion détient la vérité, et que cette vérité s’impose à tout, y compris la science. La croyance dans le « Coran incréé » cause ce genre de dégâts. Ainsi apprend-on que 80% des lycéens musulmans choisissent la religion contre la science pour expliquer la création du monde - dans l’échantillon ciblé des départements cités. Ce n’est pas du tout le cas des chrétiens, dont le pluralisme rejoint sur ce point celui des sans-religion. « Si nous avions mené cette enquête aux États-Unis, les résultats auraient sans doute été différents parmi les chrétiens », observe Olivier Galland.

Le facteur culturel prime donc les autres paramètres testés, et il montre que le nouveau noyau dur de radicalité se situe chez les très jeunes musulmans. Le livre laisse de côté l’extrême gauche, les zadistes, qui ne représentent qu’une « petite minorité » sur le marché des idées radicales et de l’action violente. Ils se concentrent donc sur l’offre anti-système la plus en vogue, celle que propose un Islam sunnite rigoriste, sous la forme d’une contre-société immédiatement opérationnelle ici, en France.

Charles Jaigu

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  • GALLAND (Olivier) et MUXEL (Anne) (dir.), La tentation radicale. Enquête auprès des lycéens, PUF, 2018, 455 p.

 


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