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La Mémoire n’est pas l’Histoire
Article mis en ligne le 16 mars 2018
dernière modification le 15 novembre 2020

par Nghia NGUYEN

 

Lorsque l’on parcourt le Pôle civisme et citoyenneté du site de l’académie de Poitiers, on y trouvera les quelques pages dédiées à l’Éducation à la Défense (1) mais également une rubrique intitulée «  Mémoire  ». Cette dernière est introduite par une réflexion du Doyen de l’Inspection générale de l’Éducation nationale, Dominique BORNE, qui - à partir des exemples du Nazisme et de la Shoah – explique justement ce que n’est pas la… Mémoire (2). En d’autres termes, pour expliquer le concept de «  Mémoire  » qu’elle met partout – que ce soit dans les textes officiels, dans les programmes et nombre d’actions pédagogiques - l’Éducation nationale dira d’abord ce qu’est l’Histoire.

Non que le propos de M. BORNE soit erroné bien au contraire. L’essentiel y est dit notamment sur les sujets cités en exemple, à savoir que la meilleure manière de parler de la destruction des communautés juives d’Europe durant la Deuxième Guerre mondiale est d’abord de faire un cours d’Histoire. Les faits rien que les faits, et cela devrait s’imposer comme une évidence à tous les professeurs d’Histoire.

Le problème est que pour définir ce qu’est la Mémoire, l’institution scolaire met en avant ce qu’elle n’est pas justement. Certes, on finira par comprendre dans le propos du Doyen ce qu’est la Mémoire, mais cela est dit en creux et de manière périphérique comme si, une fois de plus, l’Éducation nationale entretenait la confusion sur le fondement même de ses missions essentielles (3). Car la confusion entre Mémoire et Histoire dénature l’objet véritable à transmettre auprès des élèves.

Une distinction fondamentale

Il est, en effet, essentiel de distinguer les deux démarches, de ne pas laisser cette distinction aux seuls cénacles universitaires, de la porter clairement – par-delà même l’École – au cœur d’une société soumise à ces lois dites « mémorielles », où l’Historien est désormais régulièrement cité comme témoin à la barre des tribunaux, où l’on assiste à une inflation de commémorations et où l’expression « devoir de mémoire » s’installe dans les esprits comme synonyme de connaissance historique. Car Histoire et Mémoire se distinguent sur quatre plans essentiels : la dimension, la finalité, la perspective et les acteurs.

Dans sa volonté d’établir les faits, l’Histoire revêt une dimension collective (l’ensemble de la société) contrairement à la Mémoire qui part de l’individu ou d’un groupe d’individus (une communauté). Ces derniers se définissant par rapport à un événement, généralement, traumatisant. La dimension historique est universelle alors que la dimension mémorielle reste partielle, souvent sélective et éclatée entre différentes mémoires au sein d’une même société.

L’Histoire est une science qui se donne pour finalité d’étudier le passé. Elle est ainsi une démarche intellectuelle et analytique, utilisant des méthodes et répondant à une épistémologie. La Mémoire, elle, est tournée vers le témoignage : ce dernier étant très souvent une communion émotionnelle et moralisatrice avec le passé.

Les perspectives des deux démarches sont, donc, très différentes. Avec l’Histoire, il y aura une inclinaison recherchée vers l’objectivité et l’impartialité, quand bien même l’établissement et l’analyse des faits peuvent ouvrir sur différentes interprétations. Cette différence d’interprétation n’équivaudra pas cependant à un jugement, là où la Mémoire privilégiera la subjectivité et la partialité de l’individu ou de la communauté par rapport à un événement.

Partant, les acteurs de l’Histoire ne sont pas ceux de la Mémoire. D’un côté, on trouvera les Historiens (ceux qui écrivent l’Histoire) et les professeurs d’Histoire (ceux qui la transmettent) ; les deux catégories pouvant se confondre. De l’autre, on trouvera des témoins et des acteurs mémoriels (institutions et associations diverses). La barrière n’est bien évidemment pas étanche entre ceux qui écrivent et transmettent l’Histoire et ceux qui témoignent. Elle existe cependant clairement, et c’est ici que l’on regrettera la confusion entretenue au sein de l’École (mais aussi ailleurs) à travers un « devoir de Mémoire » qui tend à se substituer de plus en plus à l’Histoire.

Les dangers de la Mémoire

Car l’Histoire n’a pas d’autre objectif que d’instruire. Elle est étude, rationalité et connaissance alors que la Mémoire n’est que vécu et émotion. Cette nature fondamentalement subjective de la Mémoire ne peut conduire qu’à la moralisation des faits et du passé, ce que recouvre l’expression « devoir de Mémoire ».

La Morale que l’on définira comme le discernement entre le Bien et le Mal est avant tout une démarche individuelle. S’il est essentiel que chacun en développe une conscience dans son rapport à autrui et sur l’évolution du monde, ce cheminement ne peut être que profondément personnel et tissé au métier de la liberté de conscience.

C’est tout le problème que pose le devoir de Mémoire en son principe, qui impose ce cheminement de manière scolaire et collective à la façon d’une pensée officielle à sens unique. Hormis le fait que la démarche en soi peut être contre-productive - qu’elle agisse tel un repoussoir et finisse par alimenter négationnismes et complotismes -, la Morale ne peut être imposée ni édictée à la manière d’un cours, parce que relevant d’une libre adhésion du cœur et de l’esprit à la transcendance qui touche la plupart des êtres humains.

Une doxa peut-elle par ailleurs définir ce qu’est le Bien et le Mal dans une société qui, justement, relativise tout et met en avant des valeurs évolutives et interchangeables selon les contextes (4) ? Qu’est-ce que le devoir de Mémoire dans une société qui engage les individus à penser qu’il y a autant de « vérités » qu’il y a de points de vue ? Le Mal est-il désigné de la même manière – et met-il en œuvre les mêmes logiques – selon que l’on soit Arménien, Juif, Cambodgien ou Rwandais ? La mémoire d’un Pied-noir ou d’un Harki peut-elle côtoyer celle d’un Algérien de manière apaisée et fraternelle ? Souvenirs partiels et spécifiques à des communautés ayant vécu des événements traumatisants, les mémoires s’entrechoquent et sont davantage de nature à séparer, à diviser, à entretenir les antagonismes. Elles participent à un communautarisme qui mine l’Esprit de défense.

Cette inflation de « vérités » qui se confond en fait avec la multitude des opinions a pour moteur principal l’émotivité de nos contemporains. Cette émotivité alimente le devoir de Mémoire comme le montre l’exemple de ces élèves en larmes après les témoignages d’anciens déportés, alors que les cours d’Histoire sur le même sujet ne font pas pleurer les mêmes élèves… Par sa volatilité, sa réversibilité, sa fragilité, l’émotion - qu’elle soit institutionnalisée ou instrumentalisée - trouble l’intelligibilité et déroute l’accès à la raison. Cette dernière n’est pas le canal recherché ni emprunté, et c’est moins l’intelligence d’un événement que le sentiment qu’il fait naître qui sera ainsi mobilisé par le devoir de Mémoire.

Celui-ci est donc, dans le meilleur des cas, la mise de la charrue avant les boeufs. Car s’il y a bien un devoir c’est d’abord celui de l’instruction et de la transmission de l’Histoire que l’École a malheureusement, à bien des égards, dénaturé si ce n’est abandonné. En logique et pour répondre pleinement à sa finalité, la Morale devrait d’abord être nourrie et éclairée par un devoir d’apprentissage et de connaissance de l’Histoire – à commencer par celle de sa propre histoire - ce qui est loin d’être le cas pour des élèves de collège et de lycée de nos jours.

  1. Cf. Académie de Poitiers [en ligne]. Éducation nationale [consulté le 4 mars 2018]. Défense – Trinôme. Disponible sur : http://ww2.ac-poitiers.fr/civisme-citoyennete/spip.php?rubrique13
  2. Cf. Pièce annexe en téléchargement.
  3. Cf. Le point que font RIOUX (Jean-Pierre) et WIEVORKA (Annette) [en ligne]. Éduscol [consulté le 4 mars 2018]. « Histoire et mémoire ». Disponible sur : http://eduscol.education.fr/cid45990/histoire-et-memoire.html
  4. Cf. On prendra pour exemple le principe même d’une révision de la loi bioéthique, qui laisserait penser que l’éthique - et la morale qui en découle – n’est qu’une variable d’ajustement aux évolutions de la société. L’idée selon laquelle l’éthique est finalement quelque chose qui se modifie périodiquement au gré des avancées de la science et des sondages. Or, le propre de la Morale n’est-il pas justement d’être universel et atemporel  ? Sinon que devons-nous commémorer dans la Shoah et que comprendre dans la notion de «  crime contre l’Humanité  »  ? La relation que nous opérons, mutatis mutandis, n’est pas vaine lorsque l’on y ajoute la dimension eugénique portée par les débats bioéthiques...

___________

Ressources

  • LE GOFF (Jacques), Histoire et mémoire, Gallimard, 1988, 416 p.
  • MANON (Simone) [en ligne]. PhiloLog [consulté le 4 mars 2018]. « Histoire et mémoire ». Disponible sur http://www.philolog.fr/histoire-et-memoire/
  • RICOEUR (Paul), La Mémoire, l’Histoire, l’Oubli, Seuil, 2003, 736 p.
  • TODOROV (Tzvetan), Les abus de la mémoire, Arléa, 2015, 72 p.


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