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Les djihadistes qui reviennent ne sont pas repentis

DEVECCHIO (Alexandre), "David Thomson : « Les djihadistes qui reviennent ne sont pas repentis », in Le Figaro, 1er décembre 2016.

Article mis en ligne le 23 mars 2017
dernière modification le 14 novembre 2019

par Nghia NGUYEN

Ils s’appellent Bilel, Yassin, Zoubeir, Lena... Leur point commun ? Ils ont été djihadistes, membres de l’État islamique et sont de retour en France. Le journaliste David Thomson raconte leur destin dans Les Revenants (Seuil, « Les Jours »). Un document exceptionnel qui plonge le lecteur dans la tête des Français soldats de Daech. David Thomson est le seul journaliste français à avoir approché les djihadistes d’aussi près. Alors que la plupart des spécialistes travaillent à partir de sources secondaires et de témoignages indirects, ce grand reporter, qui a couvert les printemps arabes et la guerre en Libye pour RFI, est allé à leur rencontre, a su gagner leur confiance, nouer des liens. Il les suit maintenant depuis plusieurs années. En 2014, avec Les Français jihadistes, il dressait leur portrait à la veille de leur départ, peignait leurs premiers pas au sein de l’Etat islamique et tirait la sonnette d’alarme quant au risque d’attentat en France.

Aujourd’hui, dans un document terrifiant qui mêle enquête et analyse, il les peint à l’heure du retour sur le sol français. David Thomson fait voler en éclats toutes les certitudes des sociologues. Les djihadistes ne sont ni des déséquilibrés ni des damnés de la terre, mais pour la plupart, des jeunes issus de l’immigration en mal de reconnaissance et habités par un projet théologico-politique. Si ces « revenants » sont parfois déçus de leur expérience en Syrie, ils ne sont pour la plupart nullement repentis. Et certains projettent de nouvelles actions terroristes sur le sol français.

Le Figaro magazine - Votre livre est une des rares enquêtes de terrain sur les djihadistes, que vous êtes peut-être le seul journaliste français à connaître de si près. Pourquoi devient-on djihadiste ?

David THOMSON - On a longtemps dit qu’il n’y avait pas de profil type, mais il y a quand même de nombreux dénominateurs communs, qu’on a souvent tendance à mettre de côté. Le djihadisme n’arrive peut-être pas qu’aux autres, mais il n’arrive pas non plus à tout le monde. Le premier facteur est sociologique. La majorité des acteurs de ce milieu ont grandi dans des « quartiers populaires » et en ont conservé les codes. À tel point qu’en Syrie, c’est ce qui leur vaut leur mauvaise réputation et cette accusation d’avoir importé leur « jahilya de cité », c’est-à-dire leur habitus des quartiers sensibles. La géographie du djihad français valide ce constat. Sans surprise, l’épicentre du djihadisme français est ainsi la Seine-Saint-Denis, qui dépasse largement la centaine de départs depuis 2012. De façon empirique, nous pouvons estimer qu’environ 70% des acteurs concernés sont issus de l’immigration arabo-musulmane ou subsaharienne. Les 30% restants sont des convertis venus du christianisme et qui étaient souvent pratiquants. Chez eux, une spécificité est signifiante : ils sont eux-mêmes pour la plupart issus de milieux prolétaires et sont sans doute, au moins dans la moitié des cas, issus d’autres minorités. Les djihadistes convertis se prénomment plus souvent Kevin que Jean-Eudes. Et, quand ils s’appellent Jean-Edouard, Jean-Michel ou Willy, ils sont en général antillais.

  • Quelles sont leurs motivations ? Peut-on faire le lien entre la crise de l’intégration et le djihadisme ?

Il y a une dimension dont on ne parle jamais, qui est celle de l’hédonisme. La propagande de Daech vend la promesse d’une jouissance absolue en Syrie. Un djihadiste me parlait ainsi de l’Etat islamique comme d’une sorte de « Disneyland des moudjahidines » ! Beaucoup d’interviewés avancent des motivations aussi banales que le fait de vouloir troquer une vie d’ennui sans perspective en France par une vie exaltante en Syrie. Tous évoquent un sentiment de frustration et d’humiliation en France. Chez beaucoup, appartenir à une minorité donne l’impression de vivre en situation d’infériorité, en raison de réelles ou supposées discriminations et d’une faible représentativité dans les sphères politiques et médiatiques françaises.

L’Etat islamique propose à ces egos froissés une dignité, un statut, une revanche sociale et la foi en une transcendance spirituelle. La propagande occupe le vide idéologique de la postmodernité en leur vendant un projet, là où les sociétés capitalistes sécularisées ne sont plus en capacité de produire une politique génératrice d’espoir. Ce projet djihadiste, c’est l’utopie d’une cité idéale pour tous les musulmans, au nom de laquelle toutes les exactions sont légitimes. Dans ce djihad, les perdants deviennent seigneurs, ils croient accéder au statut de super-héros de l’Islam avec l’assurance obsessionnelle d’accéder au paradis dans l’au-delà.

  • Justement, l’engagement djihadiste n’a-t-il vraiment rien à voir avec l’Islam ?

La lecture sociologisante du phénomène ne doit pas faire oublier la réalité des convictions et du conditionnement provenant de textes religieux et de livres d’idéologues. Ils vivent le djihadisme comme un engagement religieux et politique assis sur la conviction absolue qu’il s’agit de la seule lecture authentique de l’Islam. Le simple fait de leur présenter en miroir un autre Islam, normatif, républicain, en leur répétant comme à des alcooliques anonymes qu’ils se trompent pour les « déradicaliser », ne fonctionne pas. Car les djihadistes n’inventent pas les textes de la tradition musulmane, ces versets du Coran et ces centaines de milliers de hadiths sur lesquels ils fondent religieusement leurs actions. Y compris les plus violentes. Quand la majorité des musulmans replacent naturellement ces textes dans le contexte médiéval du VIIe siècle, les djihadistes, eux, au contraire, ont la certitude de vivre la pureté de la religion du Prophète. Ils insistent sur les notions de combat et vont jusqu’à les utiliser pour disqualifier les autres musulmans et justifier leurs meurtres.

  • Qu’en est-il des femmes djihadistes ?

Cet été, avec l’affaire des bonbonnes de gaz devant Notre-Dame de Paris, tout le monde s’est subitement rendu compte que les femmes pouvaient mener des attaques. Il y a longtemps eu un biais de genre sexiste dans l’approche gouvernementale et médiatique du djihad féminin. On est parti du présupposé que, comme on avait affaire à des femmes musulmanes intégralement voilées, elles étaient dans un rapport de soumission à la domination masculine et qu’il s’agissait de victimes qui partaient sous l’influence d’un mari. Dans le livre, je montre qu’elles ont une détermination équivalente sinon supérieure à celle des hommes. Dans certains couples, la femme est même le moteur de la radicalisation. Jusqu’à l’été dernier, il n’y a pas eu d’attentat commis par des femmes, mais c’est seulement parce qu’elles n’y étaient pas encore autorisées par la hiérarchie des organisations djihadistes.

Les femmes rejettent tout aussi violemment et combattent le modèle de société que leur impose la République française mais également les obligations perçues comme étant celles de la femme contemporaine : l’égalité de genre, qu’elles estiment contraire à la religion, et l’injonction sociétale de réussir sa vie professionnelle, sociale et familiale dans un contexte concurrentiel entre les individus.,Dans cette idéologie, elles disent trouver la satisfaction de ne plus être jugées sur le physique ou sur la marque de leurs vêtements, de se trouver dans une situation d’« égalité ». C’est une soumission volontaire. Leur adhésion au djihadisme relève des mêmes convictions religieuses, du même désir de revanche sociale et du même rejet des valeurs occidentales que ceux des hommes. Leurs motivations de départ en Syrie, voire d’attaques terroristes, sont identiques.

  • Où vous situez-vous dans le débat qui a opposé Gilles Kepel et Olivier Roy ? Y a-t-il radicalisation de l’Islam comme le soutient le premier ou islamisation de la radicalité comme l’affirme le second ?

Il y a bien des jeunes anti-système qui sont dans une forme d’islamisation de la radicalité. Pour autant, Olivier Roy explique que sa thèse est la seule explication du phénomène djihadiste, qu’il utilise ensuite pour s’opposer à Gilles Kepel. Gilles Kepel en fait de même quand il considère qu’il ne faut pas évacuer l’idéologie religieuse qu’est le salafisme, et que c’est seulement sous cet angle qu’il faut lire le phénomène djihadiste. L’Etat islamique a des franchises dans de nombreux pays. Les combattants de Boko Haram au Sahel ou les talibans en Afghanistan se reconnaissent dans cette lecture de l’Islam. Il y a donc bien une idéologie construite et structurée, que l’on ne peut pas réduire à une folie d’ordre psychiatrique.

Les djihadistes ont de réelles convictions. Ils partent en Syrie ou en Irak persuadés qu’ils se dirigent vers un paradis terrestre puis céleste. Ils ne sont pas dans le nihilisme. C’est en cela que je m’oppose à Olivier Roy. Pour le reste, les thèses de Kepel et de Roy me paraissent parfaitement compatibles. Il faudrait les agglomérer. Les quelques universitaires qui dominent la réflexion sur le djihadisme disent aujourd’hui des choses très intéressantes, mais il ne faut pas oublier qu’ils se sont trompés pendant quinze ans ! Ils ont ainsi pronostiqué la fin de l’Islam politique en se faisant les tenants du paradigme universitaire qu’on appelait alors le « postislamisme ». Il s’agissait de considérer que le djihadisme était complètement discrédité dans les jeunesses arabes après les attentats du 11 Septembre. On voit bien que le contraire s’est produit, notamment depuis 2011. C’est peut-être aussi pour ça qu’Olivier Roy parle de nihilisme, car cela lui permet de considérer qu’il n’avait pas eu totalement tort à l’époque. Il faut également préciser qu’il n’y a pour l’instant aucun travail académique qui se fonde sur des sources primaires, c’est-à-dire les djihadistes eux-mêmes…

  • Vous avez commencé à travailler sur le phénomène djihadiste après les printemps arabes en 2011 et vous avez tiré la sonnette d’alarme dès 2014 sur le risque d’attentats en France. Vous vous êtes alors heurté au déni des « élites » médiatiques et politiques…

En 2014, sur le plateau de « Ce soir ou jamais », de Frédéric Taddeï, j’ai tenté d’expliquer que nombre de djihadistes français sont partis en Syrie animés, dès le départ, de projets terroristes assumés. Je me suis heurté à un déni mondain teinté d’ignorance et de vanité. C’était un mois après la sortie de mon premier livre, Les Français jihadistes, dans lequel certains éléments d’une unité djihadiste francophone basée à Alep, ceux-là mêmes qui allaient deux ans plus tard constituer la cellule-souche du commando du 13 Novembre, me révélaient de façon anonyme, dès 2013, qu’ils ambitionnaient de revenir en France pour y tuer le maximum de civils. Mais évoquer cette possibilité relevait alors du tabou. Le dire en avril 2014 valait tous les anathèmes. Les « sociologues » présents sur le plateau - dont Dounia Bouzar, qui deviendra un an plus tard, du moins aux yeux des médias, la « pasionaria de la déradicalisation » - m’accusèrent, entre autres, de « fantasmer » et de « faire le jeu des extrêmes ».

Cette anecdote donne la mesure du degré de déni et d’ignorance sur ce sujet au moment où il avait déjà bien émergé et où l’opinion commençait tout juste à découvrir son existence. Elle permet aussi de comprendre pourquoi cette opinion est si mal informée sur le djihadisme. Et les sphères politiques également. Car, même si aucun des intervenants présents sur ce plateau ce soir-là n’avait mené le moindre travail empirique sur le sujet, tous se prévalaient de leur légitimité universitaire ou médiatique pour s’exprimer. Cette même prétendue légitimité qu’ils utilisent pour s’exprimer dans des institutions privées et publiques, des commissions parlementaires et des cabinets ministériels. Ces postures médiatiques orientent donc le débat public vers une compréhension erronée et ont, de ce fait, des conséquences politiques importantes.

  • Votre livre s’intitule Les Revenants. À partir de témoignages directs, vous étudiez le cas des djihadistes qui reviennent…

Jusqu’à maintenant, les autorités françaises les laissent revenir avec beaucoup de douceur. Mon livre s’ouvre sur une conversation téléphonique entre un djihadiste membre de l’Etat islamique en Syrie et un fonctionnaire du consulat de France à Istanbul, en Turquie. Après un an au sein de ce groupe djihadiste, Bilel, 27 ans, a décidé de rentrer en France avec sa femme et leurs trois enfants. Avant de passer la frontière turque, il souhaite s’assurer qu’il ne court aucun danger et qu’il sera bien accueilli. Au téléphone, aucune animosité ne transparaît entre ces deux hommes pourtant situés dans deux camps ennemis, en état de guerre. Le ton est courtois, paraît même bienveillant. Chacun fait mine de chercher une solution administrative à une situation peu banale.

  • Ces « revenants » sont-ils repentis ?

Une majorité d’entre eux sont rentrés déçus par ce qu’ils ont vécu, mais pas repentis. Ils restent profondément ancrés dans une radicalité religieuse, idéologique voire violente. Les « revenants » expliquent que le projet reste positif, mais que les conditions de départ pour sa réalisation n’étaient pas réunies… Le projet a échoué, mais celui-ci conserve, selon eux, toute sa pureté. Ainsi, une jeune femme revenue de l’Etat islamique et en liberté m’a dit espérer de nouveaux attentats. Elle avait pourtant vécu les pires injustices en Syrie, mais elle est restée habitée par le projet d’Etat islamique et souhaite repartir dans sa branche libyenne. Selon elle, le problème ne vient pas de la haute hiérarchie, du dogme ou de l’idéologie, mais des Français de l’Etat islamique qui, dit-elle, importent leurs habitudes préislamiques de leur cité !

  • La menace est-elle décuplée par ces « revenants » ?

Elle est désormais triple : celle des retours d’éléments formés militairement et missionnés pour tuer ; celle des « revenants » déçus mais non repentis, capables de passer à l’acte violent individuellement ; et celle des sympathisants restés en France et pénétrés par ce discours.

Alexandre Devecchio

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